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concours à peu près universel, la pression qui l’a suggérée s’exerce plus ou moins sur tous les gouvernements. Néanmoins ceux qui se croient moins menacés que les autres ou qui ont plus de confiance dans leurs moyens répressifs résisteront-ils à la tentation de laisser leurs concurrents limiter le travail chez eux dans l’intérêt de leurs ouvriers, et de prendre l’avance sur eux en offrant à meilleur marché des produits arrachés à des souffrances dont ils ne s’affectent pas ? La journée normale n’est qu’un pis-aller suggéré par l’impuissance du travail manuel à se protéger lui-même. Dans notre état social les intérêts de l’ouvrier et ceux des patrons s’accordent en ce sens que la cessation du travail leur nuirait à tous deux, mais jusqu’à ce point ils sont opposés, celui de l’entrepreneur étant d’obtenir un maximum de travail pour le prix convenu, celui de l’ouvrier de gagner son salaire avec le moins de fatigue possible. Les révolutions économiques et techniques qui ont séparé le travailleur de son outil et constitué en deux classes sociales le patron et l’ouvrier, ont enflammé ce conflit au point d’imposer un changement dans leurs rapports juridiques. Sans contestation possible, le but à se proposer serait de faire converger entièrement les intérêts du capital et du travail au succès de la production. Nous n’avons pas à rechercher quels sont les moyens imaginables ou déjà pratiqués pour atteindre ce résultat : ce qui est certain, c’est que, malgré le succès de tentatives bien clairsemées, l’antagonisme subsiste, que le capital est puissant, et qu’il est habile. Dès lors il est vraisemblable que les propriétaires d’établissements industriels voyant les corps législatifs inclinés à faire au travail une meilleure part en menaçant leurs profits, et comprenant mieux que personne l’impuissance d’un gouvernement isolé à réaliser ce programme, invoqueront la majesté nationale pour décrier et faire échouer les projets qui limiteraient l’exercice de la souveraineté dans l’intérêt des populations. Plusieurs États fussent-ils parvenus à s’entendre, la résistance d’un seul pourrait suffire à tout paralyser. Et jusqu’ici le programme n’a pas obtenu l’adhésion d’un seul État, il n’y a que des vœux et une motion présentée au Parlement d’un des plus petits pays de l’Europe. Il reste donc beaucoup de chemin à faire et beaucoup de temps pour philosopher.

Les chances de la journée normale ne sauraient être discutées dans ce journal. Ce qui nous parait d’un intérêt philosophique et ce que nous tenions à établir, c’est d’un côté qu’en elle-même une mesure semblable n’a rien de contraire aux principes du libéralisme, de l’autre que cette intervention de l’autorité dans les rapports du salariat nous conduit au point où la souveraineté nationale absolue, incompatible de sa nature avec la pleine réalisation du droit, arrive