Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
revue philosophique

Le cas le plus simple est celui qui consiste dans l’antagonisme formel de deux réflexes psychiques qui se contrarient. C’est un exemple fort instructif ; car il nous montre ce qu’on doit entendre par le mot volonté.

Prenons l’exemple d’un chien de chasse bien dressé. Dès qu’il voit partir un lièvre devant lui, par suite d’un réflexe irrésistible, il court après lui en aboyant, et le suit à travers champs. Mais on l’a dressé à résister à cette impulsion presque irrésistible. La première fois qu’il a couru après un lièvre, on lui a infligé une correction ; de même la seconde, de même la troisième fois, et ainsi de suite, jusqu’à ce que cette impulsion innée, héréditaire, ait été vaincue. Alors nous n’avons plus affaire seulement à un réflexe psychique simple, provoqué par la vue du lièvre, nous avons un autre réflexe psychique simultané, qui est représenté par la vue, ou mieux la voix du maître. Le lièvre part, et le chien se met à courir ; mais aussitôt son maître l’appelle : cette voix éveille le souvenir de la correction menaçante, et le chien s’arrête.

Il s’agit donc là de deux réflexes antagonistes : un réflexe d’organisation, la vue d’un lièvre, qui fait que le chien tend à courir sus au lièvre, et un réflexe d’acquisition, la voix du maître, qui est le souvenir et la menace d’une correction, et qui arrête le chien dans sa course commençante.

Ce cas très simple ne peut pas se présenter avec ce même caractère de simplicité chez l’homme, dont les réflexes psychiques ne sont jamais simples, sauf dans certaines conditions spéciales. Toutefois on peut concevoir quelque chose d’analogue à l’instinct du chien qui est tenté de courir après un lièvre : c’est le mouvement du chasseur qui voit partir devant lui une pièce de gibier. Machinalement, c’est-à-dire par un acte réflexe très compliqué et qui nécessite une élaboration intellectuelle très complexe, il lève son fusil et met en joue. Certains chasseurs sont si automates en pareille matière qu’ils tirent, sans le vouloir, même lorsqu’on leur a recommandé de ne pas tirer. Mais il est trop tard ; le coup est parti. Je suppose qu’on a recommandé de ne pas tirer les poules faisanes ; il a tiré malgré l’avertissement, quoique ayant parfaitement entendu crier poule… poule, au moment où il visait. Il y a donc eu là deux réflexes psychiques opposés : le premier, réflexe d’excitation provoqué par la vue du gibier ; le second, réflexe d’inhibition, provoqué par les voix des voisins qui tendent à empêcher de tirer. L’acte exécuté est la résultante de ces deux forces inverses, antagonistes, et, si l’exemple est bien plus compliqué que chez le chien,