Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
503
RICHET.les réflexes psychiques

tandis que les hommes faits, à volonté énergique, peuvent supporter, sans pousser un cri, des douleurs cruelles.

En s’analysant soi-même, on sent très bien que le cri de la douleur est involontaire, mais qu’on peut cependant l’empêcher. Il est donc, non produit par la volonté, mais autorisé par l’absence de la volonté, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Telle personne, très nerveuse, sait parfaitement qu’un léger effort lui suffirait pour ne pas crier ; mais elle ne fait pas cet effort : de sorte que c’est presque vouloir crier que ne pas vouloir ne pas crier.

On se sert souvent de l’expression se laisser aller, qui est encore très juste, comme le sont en général ces mots de la langue usuelle qui traduisent des états de conscience communs et simples. On se laisse aller, c’est-à-dire qu’on ne fait rien pour empêcher ce cri de la douleur : parfois même on y aide quelque peu ; de sorte que, en dernière analyse, il devient presque impossible de distinguer ce qui est volontaire et ce qui ne l’est pas.

En effet, dans certains cas, la volonté aide tellement à ce cri de douleur, qu’il est impossible d’en faire un phénomène réflexe. C’est bel et bien un fait de volonté.

Les crises nerveuses, dites attaques de nerfs, sont aussi des phénomènes de ce genre. Elles sont assurément involontaires. Telle personne voudrait avoir une attaque de nerfs à froid, qui ne pourrait certainement pas la produire. Mais qu’il y ait une cause, même légère, inventée presque, et l’attaque des nerfs survient aussitôt. Certes elle n’est pas voulue : cependant un très léger effort — qu’on ne veut pas faire — suffirait à l’arrêter.

On comprend donc bien que toutes les transitions peuvent s’observer, et que la classification méthodique est impossible.

On remarquera que, dans toute cette discussion, nous avons considéré le phénomène volonté comme un phénomène primitif, non réductible. Mais je ne voudrais pas qu’on supposât que la volonté est pour moi une entité formelle. Au contraire, je la considère comme la résultante de toutes les acquisitions antérieures.

En effet, il n’y a volonté que s’il y a mémoire. Un être sans mémoire est le sujet passif des émotions de la minute présente, qui le font vibrer, sans être empêchées par aucune force contraire. L’excitant agit sur ses sens, éveille telle émotion liée à son organisation nerveuse, et produit le réflexe corrélatif, sans qu’il y ait de réaction possible. Tandis que, si l’être a acquis tels ou tels souvenirs, ces souvenirs, élaborés, modifiés, transformés, peuvent devenir une cause d’arrêt pour le réflexe psychique actuel, qui alors ne se produit pas.