Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
538
revue philosophique

de la persuasion, où l’autorité nous suffit, celle de nos sens comme celle de certains livres. Mais dans cette région, pas de critérium. Dès qu’il s’agit de ce que nous n’avons pas fait nous-mêmes, nous ne pouvons prétendre à la certitude des mathématiques qui sont notre œuvre.

Il ne faudrait peut-être pas modifier beaucoup cette doctrine pour y trouver comme une divination encore obscure de théories qui depuis ont fait un certain bruit en philosophie. Parmi les auteurs italiens qui se sont occupés de Vico, plusieurs en ont profité pour exalter outre mesure leur compatriote. Mais M. Cantoni, en revanche, est trop sévère : « Ce livre, dit-il, en parlant du De antiquissima Italorum sapientia, forme une étrange anomalie dans l’histoire de la pensée de Vico ; il est contraire à toute sa vie philosophique, à ses tendances, aux principes et à la méthode qu’il a ensuite appliquée comme inconsciemment à ses recherches historiques… Ce fut un bonheur pour l’Italie et pour la science qu’il ait eu l’illusion d’avoir fondé, dans cet ouvrage, un système complet de métaphysique, si bien qu’il se soit ensuite tenu pour satisfait, comme après un devoir accompli, et qu’au lieu de s’occuper encore de ces rêveries, il se soit adonné aux études dont il avait vraiment le génie[1]. » Il y a plus d’un rapport entre les doctrines contenues dans ce livre de métaphysique et celles des autres ouvrages de Vico. El puis ce qui frappe à la lecture de ce traité inachevé, comme dans tous les écrits du même auteur, c’est l’originalité, la hardiesse de ses vues, la nouveauté, en son temps, de ses idées et ce que l’on appellerait aujourd’hui leur valeur suggestive. J’aurais eu les mêmes caractères à signaler si je m’étais occupé de ses travaux sur le droit, où se rencontre peut-être la partie la plus solide de son œuvre[2].

Mais son malheur est précisément d’avoir été un initiateur, un précurseur. Ses théories ont été reprises, développées, exploitées par ceux qui sont venus ensuite, surtout en Allemagne. Ceux-ci en ont recueilli le profit et l’honneur, quand elles étaient vraies, et lorsqu’on pense maintenant à Vico, il est bien rare qu’il vienne à l’esprit autre chose que le souvenir assez vague d’une doctrine paradoxale, résumée en deux mots italiens à demi compris : corsi, ricorsi.

A. Penjon.

  1. Op. cit., pp. 38-39.
  2. Voir deux articles de M. Franck, dans le Journal des Savants, mars et avril 1866.