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de l’histoire dont il a le premier donné une si brillante esquisse dans la Science nouvelle, les aperçus métaphysiques de son De antiquissima Italorum sapientia méritent aussi d’être signalés. Je ne peux pas donner, ici, même un résumé de sa doctrine proprement philosophique ; il en avait cherché les éléments dans l’étude du latin, avec l’idée que certains mots employés par les Romains révélaient une antique sagesse, supérieure à celle qu’ils avaient eux-mêmes acquise, et, par suite, un de ces reflux, déjà, de civilisation que les conquêtes produisent, en compensation, sans doute, du bien qu’elles font d’ailleurs et qui, d’après notre philosophe, les justifie. Il serait trop long de rapporter tout ce qu’il croit découvrir dans cette étude des mots ; mais il y a là une théorie, entre autres, dont l’originalité, en son temps, était bien propre à séduire certains esprits, et qui mérite, il me semble, d’être rappelée.

Il avait cru remarquer que les mots verum et factum sont en latin des mots convertibles. Il en concluait que, pour les anciens sages d’Italie, la vérité était en proportion de la puissance. Dieu, comme auteur de toutes choses, possède aussi la vérité même, la vérité absolue et infinie. Ayant combiné les éléments de toutes choses, il connaît tout, il en a l’intelligence complète. L’homme, au contraire, esprit limité et extérieur aux choses, est capable de penser, sans doute, c’est-à-dire d’atteindre les conditions extérieures de ces choses ; mais comme il ne peut en combiner les éléments, il est incapable de les comprendre, d’en avoir l’intelligence ; il en est réduit à faire, en quelque sorte, l’anatomie des œuvres de la nature, à les disséquer, à substituer ainsi des abstractions, qu’il étudie, aux réalités. Tels le corps et l’âme, et, dans l’âme, l’entendement et la volonté. Mais ces abstractions, il les fait, il les crée, en quelque sorte, et, parmi elles, celles qui méritent le mieux leur nom, le point et l’unité. De ces deux créations, qui sont, non des entités réelles, mais de pures fictions de la raison, il se sert pour former les lignes, les surfaces, les solides, les nombres, etc. Ce sont des éléments qu’il combine à son gré, dont il est vraiment l’auteur et le maître, et dont les combinaisons deviennent aussi pour lui le sujet de la science par excellence, les mathématiques. Les mathématiques sont, en effet, un produit, une vraie création de l’esprit humain, et, dans ce monde de l’abstraction, l’homme dispose de la vérité, la possède et la pénètre, comme Dieu, dans le monde concret, dont il crée et combine les éléments réels. Et quel est le critérium de la vérité ? C’est de l’avoir faite[1]. Seules l’arithmétique et la géométrie sont, pour cette raison, absolument certaines. Les autres sciences, à mesure qu’elles se mêlent davantage au concret, s’éloignent de plus en plus de la certitude. Leurs résultats pourront être probables et même évidents ; mais Vico distingue soigneusement le domaine restreint de la certitude, de la connaissance proprement dite, de cette vérité abstraite que nous avons faite et dont nous sommes par suite assurés, et le domaine bien plus vaste de la foi,

  1. Veri criterium et regulam ipsum esse fecisse.