Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
549
ANALYSES.regnaud. Origine et philosophie du langage.

cri ou telle de ses modulations, se retrouve en fin de compte parmi les causes psychologiques du langage, et parmi les caractères distinctifs de l’humanité ? Nous n’apercevons pas que l’intervention de la volonté, tout insuffisante qu’elle soit pour tout expliquer, puisse être passée sous silence, et nous ne voyons pas non plus qu’elle puisse nuire en rien à l’évolution phonétique des premiers signes ni, d’une façon générale, à aucune partie de la thèse de M. Regnaud.

À vrai dire, l’explication platonicienne et leibnitienne de l’origine du langage par l’onomatopée pourrait être rapprochée des théories qui en sont une invention raisonnée de l’homme (ch.  iv, §  2), et c’est aussi la principale critique que nous trouvions élevée contre elle ; qu’il s’agisse, en effet, d’une imitation pure et simple des cris des animaux et des bruits des objets, ou que l’imitation soit plutôt approximative et symbolique (p. 62), il reste toujours qu’elle implique l’intention d’imiter, le désir de parler, et la volonté d’en chercher les moyens antérieure à la possibilité de les employer et de les posséder (p. 109). Cette seule remarque paraît déjà très forte contre la théorie de l’onomatopée ; mais l’auteur en fait d’autres encore, et il objecte à juste titre qu’il eût fallu aux organes vocaux une souplesse qu’ils n’avaient point primitivement pour reproduire par imitation les cris des animaux, celui du coucou par exemple, ou du chat, ou de l’âne (p. 108) ; aussi les onomatopées, qui existent en certain nombre dans nos langues cultivées, sont-elles pour la plupart d’origine récente, et ne remontent-elles pas, comme on pourrait le croire, jusqu’aux vocabulaires primitifs (p. 120). Il objecte enfin à la théorie de l’onomatopée que l’imitation du cri d’un animal eût dû désigner individuellement l’animal imité, qu’elle eût dû être dès lors un substantif, et qu’ainsi les premiers mots n’eussent pas manqué d’être des substantifs. Or, contre cette conséquence, l’auteur invoque l’étymologie, qui, de l’aveu de tous, ramène en général les substantifs à d’anciens adjectifs (p. 117) et qui ne permet plus de les considérer un seul instant comme primitifs ou comme irréductibles.

Telles sont, rapidement résumées, les hypothèses courantes sur l’origine du langage, et telle est, en substance, la critique élevée contre elles par M. Regnaud ; mais les lignes qui précèdent ne donnent pas une idée de la richesse et de l’exactitude des informations de l’auteur, non plus que de la précision de ses critiques ; rien ne peut, à cet égard, remplacer la lecture de la première partie de son livre, qui est l’histoire la plus complète et la plus exacte que nous connaissions du problème de l’origine du langage. Nous avons même omis, de propos délibéré, de signaler la discussion des thèses de l’école épicurienne (§  1 du ch.  IV), de l’école de Heyse, Steinthal et Lazarus (§  3), ou enfin de ceux qui font sortir le langage d’interjections primitives (§  4), parce qu’elles nous ont paru plus voisines de certaines opinions de l’auteur lui-même sur la question, et parce que nous aurons, dans la suite, l’occasion d’y revenir.

Pour les quatre hypothèses dont nous avons parlé, il est sensible