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encore bien autre chose pour y réussir, et, par exemple, le pouvoir de généraliser ; mais il est faux d’ailleurs que le chien en aboyant, ou le cheval en hennissant, ne fassent aucun geste ou de la tête, ou des oreilles, ou même de la queue ; toutefois ils ne montrent pas, parce qu’ils n’ont ni l’idée ni la volonté de montrer, et dès lors il est bien vrai qu’ils ne sauraient parler.

Revenons maintenant au sens du premier son ou, si l’on veut, du premier mot. Mais ici commence, à vrai dire (partie II, ch. Iv), une nouvelle analyse régressive, portant sur le sens des mots ou sur la sémantique, comme l’autre avait porté sur leur forme ou sur la phonétique. N’est-il pas certain d’avance qu’elle aboutira à un type grammatical primitif unique, comme l’autre à un type radical originel ? Comment celui-ci, dès lors, ne serait-il point la forme nécessaire de celui-là ?

M. Regnaud en fait la preuve dans l’un encore des plus intéressants chapitres de son livre. Il établit, en premier lieu, sans craindre d’objection sérieuse, que la phrase complète, avec ses trois éléments essentiels, substantif, verbe et adjectif, n’a point existé tout d’abord ; seule y suffirait l’observation de Rousseau que « les hommes donnèrent d’abord à chaque mot le sens d’une proposition entière » (p. 229) ; d’ailleurs ce que Preyer dit des enfants confirme sur ce point l’opinion de Rousseau.

Or, des trois termes qui constituent la phrase, c’est si peu le verbe qui dut être le premier, que M. Regnaud croit pouvoir en reculer l’apparition jusqu’après celle des substantifs et des adjectifs, même pourvus de leurs flexions ou de leurs désinences casuelles. (Partie II, ch.  v.)

Lequel est donc le plus ancien du substantif ou de l’adjectif ? Une vue superficielle de la question a longtemps fait répondre en faveur du substantif : l’individu est seul réel, disait-on, et il semblait que la langue dût aller tout d’abord au concret, aussi bien d’ailleurs que la pensée et que la connaissance. Pourtant il n’en est rien : en examinant les choses de près, l’auteur, en ceci d’accord avec presque tous les linguistes, montre sans peine qu’on arrive, toutes les fois qu’on cherche avec succès l’étymologie des mots indo-européens les plus anciens, à des antécédents adjectifs : « c’est ainsi que le soleil est le brillant ; la terre, la sèche ; … le cheval, le rapide ; l’œil, le voyant ; l’eau, la coulante, etc. » (p. 233). L’adjectif, qui désigne la qualité, a donc précédé le substantif, qui désigne un individu, une substance, un ensemble de qualités. Et la psychologie n’enseigne-t-elle point en effet que le concret est pour nos sens le phénomène, la qualité audible, ou tangible, ou visible ? Donc l’adjectif devait être le premier mot, comme la qualité est pour notre esprit la première chose. Mais pénétrons plus avant encore dans la question : non seulement l’homme a dû tout d’abord exprimer les qualités des choses, mais les exemples cités plus haut démontrent encore qu’entre elles il a choisi la qualité dominante ou spécifique : preuve qu’avant de nommer il a dû comparer, par conséquent abstraire