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ANALYSES.vianna de lima. L’homme, etc.

donner en un petit volume une sorte de résumé général d’anthropologie évolutioniste et un exposé sommaire des preuves du transformisme. Comme son livre n’est cependant pas absolument un ouvrage de vulgarisation pour le grand public, je regrette que l’auteur n’ait pas mis plus de précision dans ses nombreuses citations et qu’il cite souvent, par exemple, le nom de l’auteur auquel il emprunte un fait, sans indiquer la page et même le titre du livre cité.

L’ouvrage a un peu les apparences d’un plaidoyer. À le lire, on serait de croire la théorie de l’évolution aussi sûre qu’un théorème de géométrie. Les difficultés n’apparaissent pas ; si quelques objections sont indiquées, elles sont résolues immédiatement. L’auteur donne sans le moindre doute comme exemples de transformation, par exemple, de l’intelligence en instinct des faits que les partisans d’une doctrine opposée revendiqueraient peut-être comme des arguments à l’appui de leurs opinions : « Il y a des animaux qui savent se déguiser habilement pour la chasse ; certains crabes s’affublent en se couvrant la carapace avec tout ce qu’ils trouvent à leur portée. Cette ruse est maintenant instinctive, je le veux bien, mais il a fallu primitivement l’imaginer… Les constructions parfois fort compliquées des insectes et des oiseaux révèlent également le génie inventif des premiers architectes et les perfectionnements apportés par les générations successives. » Les partisans de la théorie de la création ne seraient pas embarrassés pour donner une autre explication, et si leur hypothèse est, comme je crois, la plus mauvaise qu’on puisse faire, il faut reconnaître que la théorie de la transformation de l’intelligence en instinct est difficile à appliquer à certains cas particuliers. À propos du langage, de la morale et de la religion, je crois bien aussi que M. Vianna de Lima ne convaincra pas beaucoup de ses adversaires. Mais si les théories peuvent paraître un peu sèches et insuffisamment nuancées et adaptées à la complexité des phénomènes, il faut reconnaître qu’il était difficile de faire mieux en si peu d’espace. En somme l’auteur donne une idée générale très nette, précise, et suffisamment complète des théories qui, si nous ne pouvons affirmer absolument leur vérité, paraissent du moins se rapprocher de la vérité par ce qu’elles nient, et aussi par certaines idées très générales.

Il est un point particulier à propos duquel je me séparerais de M. Vianna de Lima et de l’école évolutionniste en général : cette école parait confondre souvent l’idéal et le futur. Par exemple M. Vianna de Lima à la fin de son chapitre sur la morale nous fait un tableau très engageant de la félicité dont jouiront un jour nos descendants : « Dans l’évolution humanitaire, la moralité générale, en triomphant de l’égoïsme brutal primitif qui ne voyait toujours que l’avantage immédiat et personnel, s’est déjà suffisamment développée pour conduire à l’effacement de l’individu devant la famille et même devant la commune et la patrie, mais non encore à celui de la patrie devant le genre humain. Cette évolution progressive de l’équité et de la solidarité se fera cependant aussi ; les nations se déshabitueront graduellement de la politique de