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un problème qui ne paraît plus offrir un bien vif intérêt, celui du concept de l’âme et du point mathématique du corps qui serait son siège. Si d’ailleurs il a le mérite de fonder ses raisonnements sur le terrain scientifique, il ne saurait se flatter d’avoir trouvé dans la physiologie ni dans la psychologie les éléments d’une solution définitive.

La conscience de soi était pour Kant l’attribut de l’âme, et c’est pourquoi, avec Descartes et Spinoza, il la devait refuser aux animaux. M. E. v. Schmit considère l’âme comme principe de vie, et dès lors l’animal et même la plante peuvent être doués d’une âme, tout en demeurant profondément distincts l’un de l’autre. L’homme serait régi par un principe de vie conscient de soi, l’animal par un principe simplement conscient, la plante par un principe inconscient.

Haeckel, il est vrai, a étendu le concept d’âme jusqu’à la manière inorganique. Mais il entend, sous le nom d’âme, la force vitale comme résultat des forces des atomes réunies, et sous le nom d’âme atomique primordiale la force atomique comme une unité qui est aussi une résultante. Ceci conduirait à dire que l’âme de l’homme est une résultante des forces de ses muscles, de son estomac, de ses poumons, de son cerveau. Et si l’âme est le produit du corps, la force atomique est le produit des atomes, les atomes sont la raison dernière du monde, et la conception de Haeckel est matérialiste, non plus moniste. Du reste, il serait plus simple de parler de forces atomiques immatérielles que d’atomes étendus et insécables, qui sont une expression contradictoire. La matière serait le phénomène de ces forces. Et plus précisément, le corps est le phénomène de l’âme, et l’âme est la vie du corps.

Quant au siège de l’âme, M. E. v. Schmit le cherche dans ce point de la moelle allongée que Flourens appelait le « nœud de la vie », et l’expression du psychologue est plus hardie que celle du physiologiste. Selon Flourens, en effet, la blessure faite au point nodal ne tuait la vie que médiatement, parce qu’elle arrêtait la fonction du poumon ; mais la soudaineté de la mort prouve, selon notre auteur, que ce point nodal est le siège de l’âme même, laquelle est directement atteinte, attendu que la fonction respiratoire peut être suspendue un certain temps sans que la mort s’ensuive.

Ce « nœud » est en même temps le point central de la sensation, de la volonté et de la pensée. De même qu’un point mathématique est le siège de la vie, la vie doit commencer de ce point mathématique. Le schéma du développement de l’embryon semblerait confirmer l’hypothèse.

En résumé, M. E. v. Schmit est partisan d’un spiritualisme moniste, et si l’on compare la pensée au jeu d’un instrument à cordes, les mélodies, dit-il, sont les pensées, les filets nerveux sont les cordes, et la force qui joue est l’âme. Si le développement de la personne dans le monde infini était la raison de l’univers, on pourrait dire enfin que l’âme ne meurt point, et que la personne est immortelle.

Lucien Arréat.