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se soudent les unes dans les autres d’une manière insensible, et que ce qu’il y a de plus difficile, c’est de les isoler.

Mais laissons de côté les témoignages des savants, des philosophes et considérons en elle-même la doctrine précédente. Cette doctrine a certainement une part de vérité. Il est incontestable en effet, au point de vue de l’histoire, que toutes les sciences ont été primitivement englobées dans une seule et même science appelée philosophie, et qu’elles se sont détachées peu à peu : d’abord les mathématiques, qui dès l’antiquité même se distinguaient déjà de la philosophie, puis l’astronomie, puis la physique, la chimie, la physiologie, etc. Le fait est donc vrai ; c’est l’interprétation du fait qui est sujette à discussion. En effet, de ce qu’à l’origine les sciences particulières n’avaient pas encore d’objet propre et bien défini, en sorte que cet objet se confondait avec celui de la philosophie, il ne s’ensuit pas que la philosophie au contraire devra confondre son objet avec le leur. On peut dire au contraire qu’en se séparant, elles dégageaient cet objet propre jusqu’alors confondu et mêlé ; il faut dire qu’elles délivraient la philosophie plutôt qu’elles ne l’appauvrissaient. Les deux explications sont évidemment légitimes à priori ; et par conséquent le fait par lui-même ne prouve rien.

Cherchons maintenant, en considérant la philosophie en elle-même et non plus dans son histoire, si son unité est toute factice et toute collective, et si les différentes sciences qui la compose n’ont d’autre lien qu’un lien négatif, celui de l’indéterminé et de l’inconnu, et d’autre caractère distinctif que de n’être pas des sciences constituées. Ce qui les unissait, c’était un lien positif, une unité effective, à savoir l’unité de l’univers. C’était l’unité de l’univers qui faisait l’unité de la science. Sans doute, à mesure que les sciences spéciales faisaient des progrès, elles devenaient trop considérables pour rester liées à leur centre, c’est-à-dire à la philosophie ; elles ont dû se détacher en vertu de la division du travail ; et , en se détachant, elles s’opposèrent à la science totale, mais non pas comme le clair s’oppose à l’obscur, le déterminé à l’indéterminé, mais comme le spécial s’oppose à l’universel. Les sciences spéciales se séparant de la philosophie, réciproquement la philosophie se dégageait des recherches spéciales ; mais elle ne renonçait pas à son caractère primitif, qui est l’universalité. En effet, en quoi la philosophie de Schelling et de Hegel, ou encore, si l’on aime mieux, la philosophie d’Herbert Spencer est-elle moins encyclopédique, moins vaste, moins riche en contenu que la philosophie de Thalès ou même de Platon et d’Aristote ? N’avons-nous pas dans H. Spencer une cosmologie, une biologie, une psychologie, une sociologie, exactement comme dans