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janet. — introduction a la science philosophique

de l’objet total de la science primitive en ont été retranchés ; et, comme ils n’ont pu en être retranchés qu’à la condition d’être mieux connus, il s’ensuit que ceux qui ont continué à en faire partie, ont continué de rester obscurs, en sorte qu’à toutes les époques, la philosophie a eu pour objet la partie restée obscure de l’objet total de la connaissance humaine. »

« Qu’est-ce donc que la philosophie ? C’est la science de ce qui n’a pas encore pu devenir l’objet d’une science ; c’est la science de toutes ces choses que l’intelligence n’a pas encore pu découvrir les moyens de connaître entièrement : c’est le reste de la science primitive totale ; c’est la science de l’obscur, de l’indéterminé, de l’inconnu.

« Où est donc l’unité de la philosophie ? C’est une unité de couleur et de situation, et non point une unité réelle. Entre tous les objets de la philosophie, il y a cela de commun, qu’ils sont encore obscurs et inconnus.

« Que faut-il donc faire en philosophie ? Il faut continuer de faire avec connaissance de cause ce que l’esprit a fait jusqu’à présent sans s’en rendre compte. Il faut renoncer à la chimère d’une science dont la philosophie serait le nom, dont l’unité et l’objet seraient déterminables, et, s’efforçant de dégager des concepts obscurs et indéfinis qu’elle présente quelques nouveaux objets de connaissance, déterminer des méthodes spéciales par lesquelles on peut arriver à les étudier avec sûreté et certitude, mettre ainsi au monde de nouvelles sciences particulières. »

On voit avec quelle netteté de vue et quelle fermeté d’esprit Jouffroy avait saisi le premier ce point de vue qu’ont adopté les savants modernes, lorsqu’il donnait pour objet à la science le déterminé et le connaissable, et pour objet à la philosophie l’indéterminé, l’inconnu, l’inconnaissable. Il avait rencontré ce point de vue ; il s’y était rallié un instant ; mais il s’en était vite désabusé. Voici ses raisons : 1° cette définition toute négative de la philosophie venait se heurter contre une résistance naturelle de son esprit qui croyait instinctivement à un caractère commun, positif et non négatif, non seulement entre les sciences qui composent la philosophie, mais entre les objets de ces sciences ; 2° elle se heurtait aussi contre les habitudes du langage et du sens commun, qui supposent certains objets déterminés, comme appartenant en propre à la philosophie ; 3° dans l’hypothèse où l’unité de la philosophie serait une unité purement négative et toute formelle, les sciences philosophiques devraient être autant de membres indépendants et séparables, rapprochés par hasard ; mais, en fait et au contraire, la psychologie, la logique, la morale et même la métaphysique sont tellement inséparables qu’elles