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« Je n’admets donc pas, disait-il, la philosophie qui voudrait assigner des bornes à la science, pas plus que la science qui voudrait supprimer les vérités philosophiques qui sont hors de son propre domaine. La vraie science ne supprime rien. Elle regarde en face, sans se troubler, les choses qu’elle ne comprend pas encore… Nier ces choses ne serait pas les supprimer : ce serait fermer les yeux et croire que la lumière n’existe pas, ce serait l’illusion de l’autruche qui croit supprimer le danger en se cachant la tête dans le sable. »

À la définition précédente s’oppose en quelque sorte une définition nouvelle qui en serait la contre-partie. La philosophie ne serait pas seulement une science négative, placée sur les confins des sciences proprement dites, et représentant ce qui est au delà, l’indéterminé et l’inconnu. Par l’autre côté, c’est-à-dire de ce côté-ci de la réalité, la philosophie représenterait la plus haute généralité scientifique. Par là, elle conserverait encore son unité primordiale ; elle serait bien la science de l’univers ; mais elle emprunterait tout son contenu aux sciences particulières dont elle serait la synthèse. Cette conception, qui est celle du positivisme, a été exprimée dans les termes suivants, d’une manière poétique, par M. E. Renan : « La philosophie offre cette singularité qu’on peut dire avec presque autant de raison qu’elle est et qu’elle n’est pas. La nier, c’est découronner l’esprit humain. L’admettre comme science distincte, c’est contredire la tendance générale des études de notre temps. Elle est moins une science qu’un côté de toutes les sciences… La philosophie est l’assaisonnement sans lequel tous les mets sont insipides, mais qui à lui seul ne constitue pas un aliment ; — ce n’est pas nier la philosophie, c’est l’ennoblir que de déclarer qu’elle n’est pas une science, mais le résultat général de toutes les sciences ; le son, la lumière, la vibration qui sort de l’éther divin que tout porte en soi[1]. »

Si l’on comprend bien cette définition, il semble qu’elle consiste à substituer à la philosophie proprement dite ce qu’on appelle l’esprit philosophique. Ce qui aurait de la valeur, ce ne serait pas la philosophie elle-même, mais l’esprit de la philosophie, le philosopher, τὸ φιλοσόφεῖν, c’est cette tendance à rechercher en toutes choses l’idée générale qu’elle contient, la pensée qui anime tout, l’élément caché qui est lié à tous les phénomènes de l’Univers ; — en un mot, c’est l’esprit de réflexion qui ne se borne pas au fait, mais qui recherche la signification idéale du fait. La philosophie, c’est la pensée. Le philosophe, c’est le penseur, le méditatif, le critique.

Cette manière de voir a comme la précédente sa valeur et sa vérité.

  1. Renan, Dialogues. (Fragment, p. 286.)