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JANET. — introduction a la science philosophique

religion n’est pas l’œuvre de l’initiative individuelle purement libre. C’est une œuvre ou d’inspiration ou de choix, mais de choix motivé. La religion, comme la philosophie, a pour objet la vérité, non la fiction. On peut dire sans doute que l’art aussi a pour objet la vérité, qu’il crée lui-même un monde plus vrai que le monde réel : cela es possible ; mais ce que la philosophie veut expliquer, c’est le monde réel ; même quand la philosophie conçoit l’idéal, elle ne le donne que comme idéal ; et en cela même, comme la géométrie, elle est encore scientifique.

Quant à l’objection que la philosophie a été parfaite du premier coup, elle est fort sujette à contestation. Il n’y a rien de plus parfait que Platon comme artiste ; mais il est difficile de soutenir qu’en philosophie il n’y a eu de Platon à Kant aucun progrès. Si la philosophie a trouvé du premier coup toutes les grandes hypothèses, cela tient à ce que ces hypothèses sont très simples, et qu’à mesure qu’on s’élève à des questions de plus en plus générales, le nombre des hypothèses diminue. Mais c’est le développement même de ces hypothèses qui constitue la science.

Pour en finir avec ces diverses conceptions récentes sur l’objet de la philosophie, on pourrait en ajouter une quatrième, que je n’ai pas vue à la vérité exprimée encore d’une manière formelle et systématique ; mais elle se mêle d’ordinaire à d’autres idées, et je l’ai souvent entendu exprimer dans la conversation. C’est que la philosophie doit se borner à l’histoire de la philosophie. La philosophie a représenté un certain état de l’esprit humain ; cet état a produit les plus belles œuvres, qu’il faut connaître. Mais c’est une science finie, une science morte. Ce qui le prouve, c’est l’importance même attachée à l’histoire de la philosophie. Les sciences vivantes ne s’occupent pas de leur histoire. Les vieillards seuls rassemblent leurs souvenirs. Cependant la philosophie ne doit pas périr ; mais elle survivra sous forme d’histoire de la philosophie.

Cette conception provoque encore plusieurs objections : 1o L’histoire de la philosophie est incompréhensible sans la philosophie elle-même. Il faudra donc toujours faire la science avant de passer à l’histoire de cette science. D’ailleurs une science finie n’en est pas moins une science. Telle est par exemple l’arithmétique élémentaire, la logique formelle. 2o Quand on a conduit l’histoire de la philosophie jusqu’au temps présent, on est forcé d’aller plus loin, on se demande ce que deviendront les problèmes après nous. 3o Rien qu’en se bornant aux données fournies par l’histoire de la philosophie, on ferait encore une philosophie.

En résumé, toutes les définitions précédentes ont un défaut