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des hypothèses purement scientifiques, telles que celles de l’atomisme ou de l’éther ?

Si nous consultons les grands philosophes, nous verrons qu’ils n’ont jamais considéré leurs systèmes comme de simples fictions. On a pu le dire de Platon, parce qu’en effet il a mêlé beaucoup d’imagination et de fantaisie à sa philosophie. De là cette hypothèse de quelques critiques que Platon n’est qu’un poète, même en philosophie, et qu’il n’a jamais pris la philosophie au sérieux. Mais rien n’est plus douteux que cette supposition ; et le témoignage d’Aristote, qui ne cesse de combattre Platon dans tous ses écrits, et de lui attribuer un système très lié, suffit, je crois, pour l’infirmer. Car lui, qui était un vrai savant, aurait-il à tant de reprises poursuivi d’une polémique si profonde et si persistante contre un pur jeu d’esprit ? Mais enfin Platon écarté, de quel autre philosophe pourrait-on soutenir qu’il n’a cherché dans la philosophie qu’un simple amusement de l’imagination ? Dites donc à Spinoza que son système n’est qu’un poème, qu’une fiction. Pour lui, au contraire, son système est la vérité vraie aussi bien que pour Newton l’attraction universelle. On peut dire sans doute que les philosophes sont des artistes inconscients dupes de leurs propres fictions, comme Don Quichotte des romans de chevalerie. Mais, en supposant qu’il en ait été ainsi jusqu’ici, une fois le secret éventé, on aurait coupé court à toute philosophie. Car quel philosophe consentirait à chercher des hypothèses uniquement pour l’amusement et pour la réjouissance de son esprit ? On a dit souvent, et c’est une autre forme de la même opinion, que l’intérêt de la philosophie est dans la recherche et non dans la possession de la vérité ; et l’on attribue à Lessing ou à tel autre cette parole que, si on lui offrait la vérité toute faite, il n’en voudrait pas. Pascal a dit également dans le même sens : « Donnez au chasseur le lièvre pour lequel il a couru toute la journée, il le refusera. » Soit ; cela est vrai ; mais dites aussi à un chasseur de chasser dans un bois où il sait qu’il n’y a pas de gibier, il s’y refusera également. L’exercice de nos facultés est un plaisir, mais à la condition qu’elles aient un objet réel. Autrement nous serions semblables aux solitaires de la Thébaïde qui plantaient un morceau de bois mort dans le désert, et se donnaient la peine de l’arroser pour pouvoir dire qu’ils se livraient au travail.

Sans doute il y a en philosophie quelque chose de personnel. Chacun se fait sa philosophie ; et chaque philosophe, même le plus humble, est le miroir de l’univers. Sous ce rapport, la philosophie a de l’affinité avec la religion. Mais autre chose est l’art, autre chose est la religion. Il faut choisir. La philosophie est-elle l’un ou l’autre ? La