Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/601

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


L’ESPACE VISUEL ET L’ESPACE TACTILE

(dernier article[1])

IX

L’objection la plus grave que nous ayons rencontrée jusqu’ici, et celle que nous nous sommes efforcé surtout de prévenir et de réfuter, c’est l’objection qu’on peut élever contre notre thèse en se fondant sur la théorie empiristique, d’après laquelle l’origine de l’idée d’espace chez tous les hommes serait dans les sensations musculaires des organes locomoteurs : mais il en est une autre que nous ne devons pas non plus négliger, c’est celle qu’on tirerait du fait qu’il n’y a qu’une seule et même géométrie pour les voyants et pour les aveugles.

La réponse à la difficulté dont nous parlons est dans cette vérité incontestable que la géométrie n’est pas une science de choses, mais une science de rapports.

Est-il nécessaire de démontrer que la géométrie est une science de rapports ? Mais cela résulte de sa définition même, puisque tous les mathématiciens sont d’accord pour reconnaître que son objet c’est la mesure et l’ordre des parties de l’espace, et que très certainement la mesure est un rapport de même que l’ordre. Du reste il suffirait pour s’en convaincre de prendre garde que toutes les propriétés des figures de la géométrie, leur grandeur, leur forme, leur situation, ont leur expression adéquate et parfaite dans les formules de l’algèbre, ce qui revient à dire que tout est abstrait dans ces figures, malgré l’apparence concrète qu’elles revêtent comme objets de notre sensibilité, que tout s’y ramène aux lois de la quantité pure, et par conséquent que tout y est rapport. Ce que nous disons là s’applique évidemment aux figures de la géométrie telles que se les représentent les voyants. Supposons maintenant que les figures de la géométrie telles que se les représentent les aveugles diffèrent des premières, et même en diffèrent autant qu’on le voudra : ce que nous avons dit des unes s’applique nécessairement aux autres. Les figures

  1. Voir les numéros de février et avril 1888.