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DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

les organes ne prendraient aucune part à la constitution de notre idée de l’espace, peut donner et donne lieu effectivement chez les Kantiens à deux interprétations très différentes : 1o L’espace serait en nous une intuition devançant l’expérience, sinon chronologiquement, du moins logiquement : nous nous représenterions d’abord l’espace, et ensuite les phénomènes dans et par l’espace. 2o Nous n’aurions de l’espace aucune intuition antérieurement à l’expérience ; mais les phénomènes ne pourraient se constituer et devenir objets pour nous qu’à la condition de revêtir la forme extensive, — laquelle leur serait imposée a priori par l’esprit lui-même, — et par conséquent de former par la juxtaposition de leurs étendues respectives l’espace total.

De ces deux manières de concevoir l’espace a priori, laquelle est celle de Kant ? C’est un point qui n’a pas été généralement remarqué, à ce qu’il semble, mais nous ne croyons pas nous tromper en disant que toutes deux ont été adoptées par lui tour à tour, suivant les circonstances et les besoins du moment. À certains moments, pénétré de cette idée que la notion de l’espace ne saurait être donnée par l’expérience, — ce que la seconde interprétation suppose expressément, — Kant prend avec fermeté parti pour la première. C’est ce qui arrive par exemple lorsqu’il énumère les raisons qui lui paraissent militer en faveur du caractère apriorique de la notion d’espace. Ces raisons, comme on sait, sont au nombre de quatre.

1o L’extériorité des choses par rapport à moi, et des choses les unes par rapport aux autres, est une conception qui n’a de sens que sous la condition de l’idée antécédente de l’espace, et par conséquent, « pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, il faut que la représentation de l’espace existe déjà en moi[1] ».

2o « Il est impossible de se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien concevoir qu’il ne s’y trouve pas d’objets. » Donc la représentation de l’espace ne dépend point de celle des objets, mais la représentation des objets dépend de celle de l’espace[2].

3o L’intuition de l’espace est une intuition une et simple, logiquement antérieure à l’intuition des parties qui le composent, très différente par conséquent de la notion que nous pouvons avoir des objets complexes, dans laquelle l’idée des parties précède nécessairement celle du tout[3].

4o L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée,

  1. Critique de la Raison pure, t.  I. p. 77 de la traduction Barni.
  2. Ibid., p. 78.
  3. Ibid.