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de faire de l’idée d’espace une intuition pure devançant l’expérience, comme fait Kant, et se garder aussi de faire dériver cette idée de l’expérience d’un espace supposé tout constitué d’avance, comme fait M. Renouvier. Mais qu’est-ce à dire, et que signifie cette double condition ? Elle signifie que l’espace ne doit pas être donné dans le monde sensible antérieurement à l’idée que nous en prenons, et que l’idée d’espace ne doit pas non plus être donnée dans l’esprit antérieurement — fût-ce à un point de vue purement logique — à la constitution du monde sensible sous forme d’espace : d’où il suit que constitution du monde sensible sous forme d’espace, et l’acquisition de l’idée d’espace doivent être deux opérations simultanées, non seulement au point de vue chronologique, mais encore au point de vue logique ; c’est-à-dire que l’espace est créé, en tant qu’objet de représentation, dans l’acte même par lequel il devient objet de représentation, dans l’acte même par lequel il est perçu.

Mais comment comprendre la construction de l’espace par le sujet sensible, car, pour la perception qu’il en prend, c’est un point qui n’offre de difficultés que lorsque les deux opérations de construction et de perception sont supposées séparées ? Il est certain que cette construction de l’espace est une chose totalement inintelligible, si l’on réduit l’espace à la pure et simple extension en longueur, largeur et profondeur. L’espace ainsi entendu n’a pas besoin d’être construit, et ne peut pas l’être ; parce que qui dit construction dit mouvement, et que l’espace réduit à l’extension ne pourrait être considéré que comme le lieu où s’effectue le mouvement, par conséquent comme une condition antécédente du mouvement, et non pas comme un résultat du mouvement lui-même. Au contraire, si dans le concept de l’espace on fait entrer la figure à titre d’élément intégrant, alors il devient évident que l’espace peut et doit être construit, et comme il ne peut être construit sans le concours des organes, il apparaît en définitive que la théorie de l’espace a priori non seulement n’exclut pas les organes de toute participation à la formation de l’idée d’espace, mais encore qu’elle les requiert.

En prouvant, comme on vient de le faire, que toutes les théories qui prétendent se passer de l’intervention des organes pour la constitution de l’idée d’espace sont impuissantes à résoudre d’une manière satisfaisante le problème de l’espace a priori, on a déjà plus qu’une démonstration simplement négative de la thèse contraire, puisqu’on s’est trouvé conduit à reconnaître le bien fondé de cette dernière. Toutefois il ne sera peut-être pas inutile d’ajouter à ce qui vient d’être dit quelques arguments positifs et directs. En voici un qui doit pouvoir suffire.