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MILHAUD.la géométrie non-euclidienne

des traités en sont venus à ne citer au début de leurs livres que les notions nécessaires aux premières démonstrations sur les angles et triangles, et à réserver pour le moment opportun l’axiome des parallèles. Cette disposition, qui donne à un si haut degré l’impression d’une lacune dans la suite des déductions géométriques, a été sans doute pour beaucoup dans le besoin de la combler, qu’ont témoigné tant d’esprits ingénieux, et dans les efforts qu’ils ont faits pour y parvenir. Les recherches sans nombre qu’a suscitées l’axiome n’ont pu aboutir à une démonstration, mais il y avait un autre moyen de résoudre la difficulté, c’était de supprimer l’axiome lui-même. Gauss le premier a songé à construire une géométrie qui en fût indépendante. Ses méditations sur ce sujet ne sont qu’indiquées vaguement dans sa correspondance. C’est Lobatschewsky et Bolyai qui, au commencement de se siècle, ont publié des systèmes complets de géométrie où les démonstrations se font à la manière d’Euclide, mais où on ne suppose plus qu’on puisse mener par un point une seule parallèle à une droite. À l’axiome euclidien Lobatschewsky substitue l’hypothèse suivante : Toutes les droites, tracées par un même point dans un plan, peuvent se distribuer, par rapport à une droite donnée, en deux classes, savoir : en droites qui coupent la droite donnée, et en droites qui ne la coupent pas. La droite qui forme la limite commune de ces deux classes est dite parallèle à la droite donnée. Il y aura deux parallèles à la droite, symétriques par rapport à la perpendiculaire abaissée du point.

Il est clair que les conclusions de la géométrie nouvelle sont distinctes des conclusions euclidiennes. Elles se réduisent à celles-ci, quand on donne à un certain élément dont elles sont affectées une valeur particulière, celle qui correspond au cas où les deux parallèles se réduisent à une seule. Ainsi la somme des angles d’un triangle n’est plus égale à deux droits, elle est plus petite que deux droits ; mais elle reprend cette valeur, quand on restreint les hypothèses nouvelles à ce qu’elles sont dans la géométrie ordinaire. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus long pour faire comprendre dans quel sens Lobatschewsky et Bolyai ont pu parler d’un espace que l’un a appelé espace imaginaire, l’autre espace absolu, et pour nous demander ce qu’ils nous ont appris.

Ont-ils démontré l’existence d’un espace nouveau ? C’est à peine si la question a besoin d’être posée. Les déductions mathématiques n’ont par elles-mêmes aucune signification objective ; elles n’en peuvent acquérir que lorsqu’on établit une correspondance entre les symboles et certaines réalités déterminées, dont l’introduction est un acte arbitraire de l’esprit faisant en cela toute autre chose que