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lignes géodésiques sont des arcs de grand cercle ; si on se borne à une portion de surface moindre qu’un hémisphère, deux points détermineront une ligne géodésique et une seule ; en outre, une portion de la surface peut être appliquée sans déformation sur une autre. Ne semble-t-il pas que ceux des premiers théorèmes de géométrie plane, où n’intervient pas la longueur illimitée des droites, conviendront aussi bien à la sphère qu’au plan ? et cependant si deux triangles rectilignes peuvent toujours coïncider, quand ils ont leurs trois côtés égaux, il n’en est pas de même de deux triangles sphériques : il faut ajouter pour ces derniers une condition relative à la disposition des éléments de chaque triangle. La géométrie a donc supposé dès le début, sans le déclarer explicitement, une propriété du plan qui doit rendre compte de cette différence et qui contribuait à justifier ses conclusions[1].

Mais alors s’il nous est impossible de dire exactement par quelles propriétés sont caractérisés le plan et la droite, dans la série des théorèmes qui précèdent ordinairement l’axiome d’Euclide, comment le travail de Beltrami aurait-il démontré qu’il n’y a pas contradiction entre l’ensemble complexe de ces propriétés et l’axiome de Lobatschewsky ? Tout au plus, au contraire, en prenant pour point de départ la vérité de l’axiome d’Euclide, y verrait-on une preuve d’insuffisance des définitions ordinaires de la droite et du plan, si cette insuffisance avait besoin d’être établie, et s’il pouvait se trouver un auteur de traité de géométrie qui eût jamais cru suppléer complètement à notre intuition.

Nous bornerions là cette étude du travail de Beltrami, s’il n’avait été utilisé par Helmholtz dans une théorie chère à l’illustre savant. Celui-ci accepte bien la formule de Kant, « l’espace est la forme à priori du sens extérieur », mais il ne l’entend pas comme lui. La notion d’espace, où Helmholtz reconnaît une forme à priori de la perception, n’implique pas de préférence tels ou tels rapports spatiaux, elle est, en particulier, indépendante des relations affirmées par les axiomes de la géométrie : ces axiomes ne sont que la matière de l’idée d’espace, et c’est l’expérience seule qui pourra les justifier. Au yeux de Kant, au contraire, la notion d’espace trouve son expression naturelle dans les axiomes ; c’est d’eux que lui vient son caractère apriorique. D’ailleurs ce qui conduit Kant à les déclarer

  1. Cette propriété consiste en ce qu’une portion de surface plane, une fois retournée, continue à s’appliquer sur le plan sans déformation. Il n’y a certes là aucun mystère, mais cet exemple nous parait propre à montrer la facilité avec laquelle on utilise, dans les démonstrations de la géométrie élémentaire, des faits intuitifs qui n’ont pas été tout d’abord l’objet d’une énonciation explicite.