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suprême des Hottentots, dénommé Tsûi-goa, doit s’interpréter genou malade. » Cette explication ne lui convient pas ; il préfère traduire celui qui approche rouge, attendu qu’un « genou malade ou blessé est couleur de sang, est rouge ». Qu’est-ce maintenant qu’un dieu « qui approche rouge » ? — « C’est, dit M. Hahn, le rouge matin, le point du jour, l’aurore. » Quant à la divinité malfaisante, on a vite fait d’y trouver la nuit.

« M. Hahn, je laisse la parole à M. de Quatrefages, regarde comme démontré que, dans l’origine, les mots Tsûi-goa (le dieu bienfaisant) et Gaunab (le dieu malfaisant) ont été employés seulement pour exprimer la succession du jour et de la nuit. Mais le sens primitif se perdit ; le sentiment religieux et la mythologie se mirent à l’œuvre et enfantèrent la légende. Tous les soirs, l’homme meurt et la nuit l’enveloppe ; il renait au premier point du jour ; il tourne ses yeux vers l’orient et voit le ciel teinté de rouge ; il en conclut qu’un combat a eu lieu et que le sang a coulé. Ainsi a pris naissance l’histoire de la lutte entre Gaunab, l’habitant du ciel noir, et Tsûi-goa, qui a remporté la victoire au prix d’une blessure au genou….. En somme, on voit que M. Hahn appartient à l’école des mythologues qui cherchent dans la signification littérale du nom des divinités l’interprétation des mythes. Il ramène tous les personnages du panthéon hottentot à un petit nombre de phénomènes naturels personnifiés. Pour lui, dans leur développement religieux, les Khoï-Khoï (nom indigène) ont suivi la même voie que les peuples aryens, et il pense que, s’ils n’eussent été arrêtés par l’imperfection de leur langue, ils auraient inventé une mythologie tout aussi gracieuse que celle des Iraniens ou des Grecs. Telle qu’elle est, dit-il, cette mythologie a eu pour point de départ la croyance à un Etre suprême que tous les Khoï-Khoï, longtemps avant leur séparation, invoquaient sous le nom de Tsûi-goa et qui a joué chez eux exactement le même rôle que Dyaus chez les ancêtres de notre propre race. — Ainsi M. Hahn fait à la mythologie hottentote l’application des théories hindoues ».

M. de Quatrefages allègue à l’encontre de ses assertions, et cela avec un sentiment de discrétion qui doit être hautement loué, que « les maltres en linguistique qu’il a consultés ont été unanimes pour lui répondre que les langues hottentotes ne sont pas assez connues dans leur histoire et dans leur développement, pour qu’il soit encore possible d’entrer dans cette voie ». Cela est absolument vrai ; mais ce qui ne l’est pas moins et que nous sommes aise de déclarer à l’éminent anthropologiste à l’appui de ses sages réserves, c’est que le système de l’interprétation étymologique est en plein recul, même en ce qui touche les religions du groupe aryen, auxquelles on l’avait tout d’abord appliqué. L’idée de restituer par induction, à grands coups de dictionnaire, les conceptions religieuses des ancêtres des principaux groupes entre lesquels se répartit l’humanité, est en train de périr par ses exagérations. Nous comptons bien qu’avant longtemps, avant que l’on ait restitué