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mais, à moins d’un intérêt tout particulier, je ne me rappellerai pas très nettement les phénomènes psychiques qui ont immédiatement précédé l’interruption (ou bien si je reconstitue cette série d’idées, l’interruption qui ne s’y rattache pas logiquement, mais qui s’y rattache par la contiguïté, me sortira complètement, ou à demi, de la mémoire). Il se produit une sorte de trou dans la mémoire. C’est un trou de cette nature qui se produit entre le rêve et le réveil. On a remarqué que nous nous rappelons souvent très bien, au moment où nous nous réveillons, le rêve que nous venons de faire ; mais, quelques moments plus tard, le souvenir a disparu, et la contiguïté, réelle cependant, ne peut le faire revenir. Si au lieu de rechercher simplement des analogies superficielles entre les divers états qui se présentent à la conscience, on avait recherché les causes profondes de l’oubli, je crois que la doctrine associationniste n’aurait pu s’établir. Elle ne peut expliquer les faits que je viens de citer ; une théorie qui voit au contraire dans tout acte psychique le résultat d’une systématisation d’éléments et dans l’esprit la réunion d’un grand nombre de systèmes qui tantôt s’harmonisent et tantôt se combattent, mais agissent chacun pour soi, peut expliquer à la fois la règle et les exceptions. En effet, si nous ne nous rappelons pas exactement, dans bien des cas, ce qui s’est passé avant une interruption brusque, c’est que l’orientation générale de l’esprit change soudainement ; à un système psychique, un autre système d’éléments psychiques dynamiquement associés vient se substituer brusquement, et si ces deux systèmes ne sont pas réunis dans un système supérieur, un élément du premier n’éveillera pas le second ni un élément du second ne réveillera se premier, du moins en général. Mais on comprend aussi parfaitement que dans certains cas les deux séries d’images coordonnées puissent se synthétiser. En effet, d’abord il peut arriver que des éléments communs se trouvent dans les deux séries, et cela peut devenir le point de départ d’une association analogue à celle que nous examinions tout à l’heure. Mais la principale cause est peut-être celle-ci : un système psychique en activité qui est brusquement remplacé par un autre, ne cesse pas toujours immédiatement d’être en activité. Son activité est plus faible, mais elle peut durer encore quelque temps, s’il n’y a pas une inhibition complète, si le nouveau système ne prend pas toutes les forces psychiques disponibles. Si je suis en train de lire un livre qui m’intéresse beaucoup, et qu’on m’interrompe pour un sujet sans grande importance, j’arrête ma lecture, et mon attention est détournée des idées ou des émotions que cette lecture causait en moi, mais ces idées et ces émotions peuvent ne pas disparaître complètement, et il subsiste un arrière-fond mental qui se manifeste encore vaguement à la con-