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de saint Paul qu’il connaît à fond, l’origine du péché[1]. « La manière, dit-il, dont l’apôtre Paul s’est représenté l’origine du péché et s’en est expliqué l’universelle et fatale domination dans le monde, est un des points les plus obscurs et les plus controversés de sa doctrine. Cette obscurité ne tient point au style de ses lettres… Si la question de l’origine du mal moral reste mal éclaircie, c’est que Paul, missionnaire du Christ encore plus que philosophe, ne l’a jamais posée ni résolue d’une façon directe. Il était préoccupé d’autre chose que de spéculation et de logique. Il éprouvait bien plus le désir de changer le monde que de le comprendre. Sans doute, un système théologique d’une admirable unité se dégage des écrits qui nous restent de lui, parce qu’il est dans la nature même de tout esprit original et puissant de penser systématiquement ; mais il est juste de dire qu’il n’eut jamais le propos délibéré, ni même l’intention de faire un système. Il n’a jamais procédé à la manière d’un philosophe qui construit d’abord sa doctrine et qui l’enseigne ensuite à ses disciples. »

Quand on étudie les lettres ou épitres de l’apôtre qui nous ont été conservées dans le Nouveau Testament, on y constate sur la question du péché deux courants en sens contraire : l’un qui semble conduire à la doctrine traditionnelle du péché originel, l’autre qui nous ramène à la constitution physique de l’homme comme à la cause de tout péché. D’après certains textes, les péchés actuels s’expliqueraient par la chute du premier homme, laquelle reste elle-même un acte sans explication et sans cause suffisante ; d’après d’autres, le péché du premier homme s’explique par la même raison qui explique aujourd’hui encore tous les autres, à savoir par la « chair », par la nature foncièrement pécheresse et faillible de l’homme. C’est à cette seconde manière de voir que M. Sabatier ramène les textes des deux séries, en faisant voir que ceux mêmes de la première y sont réduits par la voie d’une exégèse attentive et sans aucune violence. Sans doute, la transgression première conserve une importance extraordinaire ; on peut même dire qu’elle était grosse de toutes les transgressions futures, non point « en ce sens que l’acte d’Adam souillât toute sa descendance, mais en ce sens que ce premier péché était la manifestation d’une puissance de péché qui allait se réaliser dans la vie de chaque homme comme elle s’était réalisée dans celle d’Adam ». Quand l’apôtre écrit que : « Par le moyen de la désobéissance d’un seul homme, la totalité a été constituée pécheresse », cela ne veut pas dire que la désobéissance d’Adam et sa coulpe ont été imputées à toute sa race, mais que sa désobéissance a été la brèche première par laquelle la puissance du péché est entrée et s’est réalisée dans l’histoire sous la forme d’une infinité de transgressions ». La nature d’Adam était psychique ou charnelle comme celle de ses descendants ; en d’autres termes, l’homme est mauvais par sa constitution physique elle-même et ne peut arriver à l’état spirituel qu’au prix

  1. In-8o, 39 pages.