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ANALYSES.monchamp. Cartésianisme en Belgique.

condamnations ne furent pas de grand effet en Belgique et surtout à l’université même de Louvain. Gutschoven et Philippi perdirent leurs chaires ; mais les doctrines cartésiennes, plus ou moins mitigées ou dissimulées, continuèrent à être enseignées dans l’université.

Malgré ces condamnations officielles, malgré les disgrâces, fort adoucies d’ailleurs comme nous le verrons, de deux ou trois professeurs, le mot de persécution ne nous paraît pas aussi bien de mise en Belgique qu’en France ou même en Hollande dans certaines universités. L’auteur fait avec raison ressortir cette différence, qui est en l’honneur de la tolérance des autorités civiles et des évêques de la Belgique. Nous avons, dans notre Histoire de la philosophie cartésienne, tracé le tableau de la persécution en France contre les disciples et les doctrines de Descartes. Ce ne fut pas sans doute une persécution sanglante, mais elle tortura plus d’une conscience philosophique et, si elle ne fit pas des martyrs, elle fit quelques confesseurs. À la suite de la congrégation de l’Index, toutes les autorités civiles et religieuses, le conseil du roi, le parlement, l’université, le roi lui-même se liguent contre la philosophie proscrite. Les évêques interviennent par des mandements et ajoutent leurs censures à celles de Rome et des universités. Les cartésiens opiniâtres dans les universités et les ordres religieux, surtout chez les jésuites, subirent une foule de disgrâces et d’épreuves. Il suffit de rappeler le nom du père André, persécuté pour sa fidélité à Descartes et à Malebranche. De même en Hollande, qui n’a pas toujours été la terre de la libre pensée, les cartésiens et Descartes lui-même eurent plus d’une fois à souffrir de l’appui donné par les magistrats aux censures et aux attaques de théologiens protestants, non moins intolérants que les jésuites eux-mêmes.

En Belgique, nous ne voyons rien de pareil. Les professeurs cartésiens mis à l’index par l’internonce et la faculté de théologie, poursuivis par la haine de leurs collègues péripatéticiens, cherchent et trouvent un appui dans les autorités civiles et chez les plus hauts représentants du roi d’Espagne. Le marquis de Caracena, gouverneur par provision des États de Flandres, accueille Gutschoven à la cour, préside à ses démonstrations anatomiques entremêlées d’explications toutes cartésiennes, et lui donne un poste qui le dédommage de celui qu’il a perdu. Philippi, cet autre chef des cartésiens belges, n’en publie pas moins sa physique toute cartésienne qu’il met sous la protection d’un autre grand personnage, le gouverneur du Hainaut. Gutschoven, Philippi et d’autres professeurs censurés et condamnés, exclus de l’université, ont occupé des chaires qui étaient à la collation du roi d’Espagne. M. l’abbé Monchamp explique cette tolérance, d’abord par l’esprit de liberté dont, suivant lui, ont toujours été animées les institutions de son pays, puis, ce qui nous paraît plus probable, par le jansénisme de certains membres du gouvernement qui les disposait à l’indulgence pour ceux qui étaient en opposition avec Rome ; puis enfin le désir de se faire quelques amis dans les universités qu’il avait soulevées contre lui en