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ou pour quelque fait relatif à la vie privée ? M. Van der Haeghen, de Gand, auteur d’un ouvrage sur Geulincx, qui a paru après le Cartésianisme en Belgique[1], a étudié la question sans pouvoir tout à fait l’éclaircir ; il se borne à affirmer, contrairement à l’opinion où parait incliner l’abbé Monchamp, qu’il n’y eut rien de honteux dans les motifs qui obligèrent Geulincx à quitter Louvain.

Quoi qu’il en soit, l’abbé Monchamp, résolu à ne pas passer la frontière avec lui, se borne à nous donner l’analyse de son premier ouvrage, le seul qu’il ait publié en Belgique, les Quodlibeticæ quæstiones, qui renferment de curieux détails sur certains usages de l’université et sur les questions demi-sérieuses, demi-badines, par lesquelles, dans des jours de fête académique appelés les Saturnales, s’exerçait l’esprit des étudiants, et surtout du président. Ces Questions nous montrent dans Geulincx un esprit fort émancipé et déjà détaché des anciennes doctrines de l’université, mais on ne peut guère encore y entrevoir ce que sera un jour sa propre philosophie. L’auteur a eu d’autant plus tort, je le dis non seulement pour Geulincx, mais pour d’autres encore, de ne pas vouloir mettre avec eux le pied en Hollande, que lui-même il a reconnu les affinités de l’esprit philosophique dans les deux pays. Mais depuis que je faisais ce reproche à l’abbé Monchamp dans mon rapport à l’Académie des sciences morales et politiques, cette lacune en ce qui concerne Geulincx, a été heureusement comblée par le savant et complet ouvrage de M. Haeghen, dont j’aurais volontiers parlé et fait l’éloge, si déjà il n’en avait été question dans la Revue.

Cependant le cartésianisme n’a pu se développer en Belgique, pas plus qu’en France et en Hollande, sans se trouver aux prises avec des censures et des condamnations soit des théologiens, soit des magistrats, et sans encourir quelques persécutions plus ou moins graves. L’initiative en Belgique appartient à l’internonce Jérôme de Vecchio ou Vecchi, comme dit l’abbé Monchamp. Alarmé des progrès du cartésianisme et informé de la prochaine soutenance de thèses cartésiennes, il écrit au recteur et somme la faculté de théologie d’y mettre un terme par l’interdiction de leçons et de thèses contraires à la foi. La faculté de théologie obéissante censura les thèses cartésiennes et les professeurs cartésiens de l’université. Cette lettre de l’internonce et les condamnations qui en furent la suite ont été déjà publiées, il y a longtemps, par Victor Cousin dans ses Fragments philosophiques. Mais l’abbé Monchamp ajoute au fait principal beaucoup de détails intéressants et surtout il nous renseigne mieux que nous ne l’étions sur les suites de cette condamnation officielle. Il s’attache à en atténuer la gravité, comme aussi d’ailleurs celle du décret de la congrégation de l’Index qui eut lieu deux ans plus tard, et qu’il prétend n’avoir condamné que l’édition des Méditations de 1650. Il est certain, comme il le prouve, que ces

  1. Geulincx, étude sur sa vie, sa philosophie et ses ouvrages, par Van der Haeghen, in-8o de 230 pages, Gand, 1886. On y trouve la bibliographie complète de ses œuvres.