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ADAM.pascal et descartes

le vif-argent ne peut manquer de baisser. Pendant plus de six mois, les neiges rendirent le sommet du Puy-de-Dôme inaccessible. Puis, M. Périer partit pour une mission en Bourbonnais, à Moulins, et ce ne fut que de retour à Clermont, le 19 septembre 1648, qu’il fit lui-même l’expérience. Elle eut le plus heureux succès. Aussitôt il en avertit Pascal, qui la répéta en haut de la tour Saint-Jacques et des tours Notre-Dame à Paris, et publia, avant la fin de l’année, le Récit de la grande expérience de l’équilibre des liqueurs.

Or, l’année suivante, Descartes se plaignit, par deux fois, à Carcavi de n’avoir pas reçu cette relation. « J’avais, écrivait-il le 11 juin 1649, le droit d’attendre cela de lui… parce que c’est moi qui l’ai avisé, il y a deux ans, de faire cette expérience, et qui l’ai assuré que, bien que je ne l’eusse pas faite, je ne doutais pas du succès. » Et encore, le 17 août : « C’est moi qui avais prié M. Pascal, il y a deux ans, de vouloir la faire, et je l’avais assuré du succès comme étant entièrement conforme à mes principes, sans quoi il n’eût eu garde d’y penser, à cause qu’il était d’opinion contraire[1]. »

On peut s’étonner, en effet, que Pascal n’ait pas envoyé à Descartes ce récit de la grande expérience, comme il avait fait, un an auparavant, pour son petit abrégé de 1647 ; et ceci fournirait déjà une présomption contre lui. Mais le P. Mersenne, qui avait soin de faire parvenir au philosophe tout ce qui paraissait de nouveau à Paris, mourut le 1er septembre, une vingtaine de jours avant l’expérience ; et pour le remplacer, il fallut que, seulement huit mois après, Carcavi offrit de lui-même ses services. De plus, Mersenne était presque le seul qui connût en France l’adresse exacte de Descartes, et il la tenait secrète ; en 1647 déjà Pascal dut recourir à l’entremise du Père pour faire parvenir son abrégé à Descartes en Hollande, et, en 1648, Mersenne étant mort, il ne savait plus sans doute où adresser son nouvel opuscule. On ne doit donc pas le soupçonner de la moindre dissimulation en cela.

D’ailleurs, si l’hiver de 1647-48, dans plusieurs lettres au P. Mersenne, Descartes s’informait de l’expérience qui n’était pas encore faite, et pressait Pascal de la faire[2], on trouve alors la même curiosité chez tous les savants qui en avaient connaissance. Huyghens écrivait aussi de Hollande au P. Mersenne de pousser le jeune M. Pascal à continuer son traité du vide, et « à donner enfin le corps

  1. Œuvres de Descartes, t.  X, p. 344 et 351 de l’édit. Cousin.
  2. Lettres du 13 déc. 1647, du 31 janvier, du 7 février et du 4 avril 1648. Elles n’ont pas été publiées, et sont peut-être à jamais perdues ; mais Baillet en avait le manuscrit sous les yeux (t.  II, p. 330 et 333 de la Vie de M. Descartes, Paris, 1691).