Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
revue philosophique

sophes qu’il range sous cette rubrique : celle de Kant, pour qui l’âme était un phénomène objectif et sa substantialité un postulat de la raison ; celle de Schopenhauer, qui fait du phénomène de Kant une représentation, et du monde « ma représentation » ; celle de Liebmann et de quelques autres, qui réduisent le monde aux limites de l’intelligence qui le perçoit, et l’âme à un phénomène individuel (Schuppe refuse même tout monde en dehors du monde subjectif) ; et enfin celle des philosophes purement phénoménistes, pour lesquels l’âme n’est plus qu’un titre et un nom.

Cet empirisme nominaliste est représenté, en son excès, en Allemagne par Mach, en Angleterre par Spencer, en France par Ribot. Spencer se rattache, par Stuart Mill, d’une part au vieil empirisme anglais, et de l’autre au positivisme français de Comte. M. Witte accorde une véritable importance à l’œuvre de Comte, et il la critique aussi sans ménagement. La signification philosophique de sa « loi des trois états », dit-il en résumé, est l’avènement d’une philosophie qui négligerait les causes, les substances ; et sa classification hiérarchique des sciences (M. Witte en reconnaît les réels mérites) implique d’ailleurs, premièrement, que des éléments abstraits, des lois, objet de nos sciences abstraites, représentent ce qui est immutable dans la nature, et, secondement, que les phénomènes, les faits réels, objet de nos sciences concrètes, ne sont que des combinaisons d’éléments, de choses élémentaires. Sur quoi M. Witte objecte que le positivisme doit renoncer à saisir l’objectif, ou accepter les causes, c’est-à-dire les substances car c’est prendre le πρότερον πρὸς ἡμᾶς pour le πρότερον τῇ φύσει, que de qualifier les phénomènes des combinaisons ; l’abstrait et le concret du positivisme répondent à des différences de position dans le monde représentatif et ne signifient pas des différences objectives ; et il faut en définitive, pour sortir du subjectivisme, demander à la théorie de la connaissance le quelque chose de solide et durable qui sera le fait, mais qui ne peut être la généralité de Comte, simple produit de l’esprit logique, qu’il s’agirait de critiquer.

C’est toujours, on le voit, le même reproche adressé aux positivistes de garder la position du réalisme naïf, faute d’en trouver une meilleure ; et les métaphysiciens les accusent d’être des « subjectifs », parce que les positivistes acceptent bonnement l’objectif, tel qu’ils ont prise sur lui par la réflexion et la sensation, par la logique et l’expérience sensible. Comte est déclaré coupable d’ « hypostaser » les lois de la nature et de bâtir ainsi une métaphysique rationaliste et dogmatique. Les lois, écrit R. Zimmermann, ne sont pas pour lui des phénomènes, mais des rapports entre les phénomènes. « Comte prend les objets sensibles de l’expérience comme des phénomènes hors du sujet, tandis que selon Kant ils sont dans le sujet. »

Spencer commet la même faute et néglige les théories allemandes de la connaissance. Elles lui eussent enseigné, dit M. Witte, que les sensations ne sont pas les derniers éléments de la conscience, et qu’elles