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ANALYSES.nourrisson. Philosophies de la nature.

dans aucun texte de l’Ancien Testament, et qu’il ne fut employé par les Israélites qu’après qu’ils eurent été corrompus par les hérétiques. « Conséquemment, demande Boyle, pourquoi ne pas substituer au mot nature les mots mêmes qui en traduisent les différentes acceptions ? Au lieu de nature, n’est-il pas très aisé de dire Dieu ? au lieu de nature, essence ou qualité ? Vous dites que la nature a fait un homme tel ou tel et qu’une pierre tombe naturellement. Que ne dites-vous qu’un homme a eu telle ou telle naissance et que le mouvement d’une pierre reçoit telle ou telle détermination ? Ne dites point qu’il y a une succession naturelle de la nuit et du jour, mais un ordre stable des choses ; ne parlez pas de nature robuste, mais de constitution, de tempérament. Qu’il ne soit plus question de nature pour désigner le monde ou l’univers, mais dites simplement le monde, l’univers. Surtout, que la nature ne soit jamais prise pour une divinité, ou une demi-divinité ! »

La place nous manque pour insister autant que nous le voudrions sur cette étude consacrée à R. Boyle, et sur les trois autres. Nous signalerons cependant comme particulièrement attrayante celle qui a pour objet le Pantheisticon de Toland. Toland eut une existence si malheureuse, qu’on se sent pris pour lui d’une sympathie profonde, que tempèrent, il est vrai, les intrigues souvent peu scrupuleuses de ce personnage, toujours prêt à recevoir de toutes mains. Mais ce qu’on ne s’explique guère, c’est le jugement que porte sur lui Lange. « Toland, écrit Lange, est un de ces phénomènes qu’on aime à contempler : il nous découvre en lui une personnalité importante dans laquelle se fondent harmonieusement toutes les perfections humaines. » C’est une impression singulièrement différente qui se dégage et de la biographie que lui consacre M. Nourrisson, et du chapitre dont il est l’objet dans l’important ouvrage de M. Leslie Stephen, la Pensée anglaise au xviiie siècle. Quant au génie de Toland, le Panthéisticon, dans l’analyse de M. Nourrisson, en donne, somme toute, une assez pauvre idée. Cette société de libres penseurs, avec son formulaire, ses banquets, ses discussions, à la manière antique, sur des sujets religieux et moraux, ses litanies des philosophes, tout cela est d’un pédantisme lourd et ennuyeux : les préceptes de sagesse sont des lieux communs, et il n’y a d’original que l’invitation à boire, qui termine chacun des actes de la cérémonie. En vérité, les libres penseurs qui s’appellent Voltaire et Diderot nous ont habitués à plus d’esprit.

L’étude par laquelle se termine le volume redresse quelques idées inexactes assez généralement répandues sur les doctrines philosophiques de Buffon. C’est ainsi qu’on le présente d’ordinaire comme un adepte du sensualisme de Locke et de Condillac. Loin de là, Buffon estime que l’auteur du Traité des sensations est « un philosophe sans philosophie » ; suivant lui, « le sentiment ne peut, à quelque degré que ce soit, produire le raisonnement » ; et, par sentiment, il entend la sensation. — Buffon est si éloigné du matérialisme, qu’il croit impossible