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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/292

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a le souvenir de cette crise. « Vous m’avez, lui dis-je, raconté une singulière histoire : vous savez bien que vous n’avez pas de bêtes dans la tête. — Je n’ai pas raconté d’histoire, puisque c’est vrai, — Voyons, vous plaisantez, vous voulez dire que cela ressemble à une bête. — Non, non, je dis que j’ai une bête dans la tête, qu’elle y est entrée, qu’elle mange mon cerveau, c’est absolument sûr. » Si j’insiste elle se détourne de moi avec colère et ne me répond plus un mot. C’est ici, comme on le voit, la conviction hallucinatoire telle que nous l’avions signalée dans les descriptions précédentes. Tous mes efforts pour la convaincre étant inutiles, je change de procédé. « Eh bien, soit, lui dis-je, je me suis trompé, mais puisque vous avez une bête dans la tête, nous allons être forcés de faire une opération chirurgicale. — Oh ! cela, je veux bien. » Je ne décris pas cette opération sur le crâne exécutée par suggestion sur une somnambule ; on la devine : la bête fut retirée et écrasée par terre devant Marcelle. Je ne l’ai pas interrogée au réveil sur cette idée, c’est une chose à éviter après ces sortes de suggestions, car on risque de réveiller l’idée fixe mal effacée. Mais j’ai constaté que depuis cinq mois Marcelle n’a plus jamais parlé de sa bête dans la tête. Nous voyons donc ici tous les caractères inverses des précédents, le sujet ne doute pas de son idée fixe, il n’interroge personne, il ne se laisse pas convaincre par les procédés ordinaires, mais la guérison une fois obtenue se maintient beaucoup plus stable.

Cette comparaison est intéressante, car elle nous montre une manière de comprendre les obsessions de la maladie du doute et cette discussion, cette a rumination psychique » qui les accompagne. Ces obsessions ont, du moins pour le cas présent, leur origine dans un état plus profond : elles étaient alors nettes et affirmatives, elles avaient la forme d’idées fixes et d’hallucinations. Mais maintenant l’état qui leur a donné naissance est disparu, elles ne subsistent qu’à demi effacées, mais tenaces, et elles doivent alors entrer en lutte avec la conscience et le bon sens normal. M. le Dr Chaslin a signalé plusieurs idées fixes de ce genre ayant leur origine dans un rêve ; Legrand du Saulle en citait également du même genre[1]. Mais ce qui est certain pendant le rêve, devient douteux pendant la veille, et l’idée fixe avec conviction se transforme en obsession avec doute. Nous pouvons maintenant comprendre la singulière façon dont Marcelle parle de ses parents pendant ses intervalles lucides. Elle ne sait que penser sur eux ; elle discute et s’interroge perpétuellement : « Est-ce vrai, se dit-elle, que mes parents m’en veulent ? C’est bien étonnant. Pour-

  1. Legrand du Saulle, 31.