Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
467
g. noël. — noms et concepts

Ainsi s’explique l’usage logique des termes généraux. Quant à leur constitution, elle n’offre rien de bien mystérieux. Elle est l’œuvre de l’association. Un nom donné à un objet quelconque peut devenir général et tend même nécessairement à le devenir. Tout objet qui rappelle à l’esprit un autre objet en rappelle aussi le nom. L’association primitive qui unissait le nom au premier des deux objets s’étend naturellement au second. Le nom devient apte à évoquer l’image de celui-ci aussi bien que celle du premier. Aussi le cortège d’images que mène après lui un mot s’allonge indéfiniment à mesure que s’étend notre expérience. Ce n’est pas d’ailleurs une vue purement théorique. L’observation des enfants, l’étude des transformations du langage viennent confirmer l’hypothèse que suggère la psychologie. S’il est besoin de quelque artifice, ce n’est pas pour élargir la signification des mots, c’est plutôt pour la restreindre et la fixer.

Quelque ingénieux que paraisse ce système, il nous semble néanmoins inacceptable. Il n’est pas vrai d’abord qu’un nom de classe puisse évoquer toutes les images de la classe qu’il désigne ni même le plus grand nombre d’entre elles. Souvent nous n’en apercevons effectivement qu’un seule, jamais nous n’en distinguons que quelques-unes. Qu’est-ce que cette infime minorité comparée à la multitude des images absentes ? Dès lors, si nous jugeons la classe entière d’après les quelques images actuellement présentes à notre conscience, ne sommes-nous pas fatalement voués à l’erreur ? Comment décider ce qui convient au genre tout entier d’après quelques échantillons pris au hasard ? Certes nous nous trompons bien souvent, mais, dans l’hypothèse, ce serait un miracle que nous puissions quelquefois rencontrer la vérité.

D’ailleurs l’hypothèse est imaginée pour rendre l’abstraction inutile. Or de quelque façon qu’on s’y prenne, c’est en vain, croyons-nous, qu’on espère pouvoir s’en passer. À côté des noms généraux proprement dits, de ceux qui désignent expressément des êtres, il y a des noms de qualités. Je ne parle pas seulement des substantifs abstraits, mais aussi et surtout des adjectifs. Comment dans le système que nous discutons rendre compte de leur existence ? Dira-t-on que les noms des caractères se sont formés après ceux des classes et qu’ils ont au fond la même fonction ? Que les adjectifs sont quant à leur origine de véritables substantifs ? Une semblable échappatoire nous est interdite par tout ce que nous savons de l’histoire du langage. Toujours et partout il semble que son développement s’est produit dans l’ordre inverse ; que les qualités ne sont pas désignées par les êtres, mais les êtres par les qualités.