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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/478

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Quelque sérieuse que semble cette difficulté, il en est une plus grave encore. Sans doute le nom donné d’un objet peut être par analogie étendu à d’autres objets plus ou moins semblables au premier, mais ce fait ne suffit pas à expliquer la formation des noms de genre. Pour que de tels noms se produisent il faut que le même signe verbal puisse s’associer à plusieurs images, mais il faut aussi qu’il ne puisse pas s’associer à toutes. Il faut que le sens d’un mot possède une certaine puissance d’expansion ; mais il faut aussi que cette expansion trouve quelque part sa limite. Il faut qu’elle soit contenue dans certaines bornes. Or dans l’hypothèse discutée d’où viendra cette limitation ? On ne voit qu’une réponse possible : l’expansion d’un terme ne semble pouvoir être limitée que par celle d’un autre terme. Cela revient à supposer que l’esprit groupe les objets autour de certains d’entre eux pris arbitrairement comme types et que chaque objet est rangé dans un groupe ou dans un autre, selon que nous le jugeons en gros plus semblable à tel ou tel objet-type. On aboutirait ainsi à une classification des êtres dans laquelle chacun d’eux aurait une place déterminée, nécessairement unique. Or cette conception est tout ce qu’il y a de plus contraire à la réalité des faits. Un même objet appartient à différents genres selon qu’on le considère sous tel ou tel rapport et peut en conséquence recevoir une multitude de noms distincts. Les genres empiètent les uns sur les autres de la façon la plus irrégulière. C’est que les limites de chacun d’eux sont tracées de points de vue différents. C’est que les objets ne sont pas rapprochés les uns des autres d’après une vague et confuse impression de ressemblance totale, mais d’après des ressemblances précises et définies. C’est que pour constituer un genre donné les individus ne doivent pas seulement être semblables, mais l’être sous un certain rapport particulier, en d’autres termes présenter un caractère commun. C’est parce qu’il connote ce caractère que le nom dénote le genre. Tout objet qui présente ce caractère fait par cela même partie du genre, quelque dissemblance qu’il y ait d’ailleurs entre lui et ses congénères. Au contraire un objet d’où ce caractère est absent, quelque pareil qu’il puisse être sous d’autres rapports à certains individus du genre, en est nécessairement exclus.

Ce sont là, croyons-nous, des vérités évidentes. Or leur reconnaissance équivaut à l’abandon de la théorie. Si la formation des genres ne peut s’expliquer par une vague intuition de la ressemblance, si elle exige une comparaison précise qui mette en lumière les caractères communs à divers individus, il faut accorder que la conscience peut discerner ces caractères, que l’attention s’y peut fixer d’une