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j. soury. — la psychologie physiologique des protozoaires

sont qu’un état en somme assez rare et fugitif, n’apparaissant que chez des organismes déjà assez élevés en organisation, du moins autant que nous pouvons en juger par induction. Il n’est donc peut-être pas très légitime de faire de ce point de critique la pierre d’angle d’une théorie. D’ailleurs, puisque la conscience n’est qu’un phénomène d’accompagnement de certains processus organiques, c’est un élément presque négligeable pour l’étude des mécanismes psychiques. Qu’un mécanisme fonctionne avec ou sans connaissance, cela ne change rien aux mouvements des rouages de la machine. « Parce qu’il prend conscience des actes qui se produisent en lui et ainsi les voit naître en quelque sorte, l’homme est tenté de croire qu’il en est le maître et la cause[1]. » Mais si, même après la méditation de Spinoza, cette illusion naïve existe et persiste chez beaucoup d’hommes, il n’y a point lieu de s’y arrêter. Pour le psychologue, il y a non seulement sensibilité, comme l’a écrit Cl. Bernard, mais sensation, avec ou sans conscience, quand l’être vivant répond à la provocation des stimulants[2]. Chez l’homme, avec ou sans conscience, il y a souvenir, idéation, activité appropriée à des fins ; bref, dit Charles Richet, « toutes les opérations de l’intelligence peuvent s’effectuer avec ou sans conscience[3] ». À coup sûr, on ne saurait hésiter, en faisant complètement abstraction des phénomènes de conscience, dont les premières manifestations nous échappent dans la série organique, à accorder que les mouvements des Protozoaires, — réflexes, « spontanés » ou automatiques, — doivent être aussi inconscients que les sensations et les représentations dont ces mouvements sont l’expression objective.

Nous avons défini la sensation une des modalités de l’irritabilité physiologique. Toute sensation, c’est-à-dire toute modification de l’état psychique consécutif aux excitations lumineuses, thermiques, chimiques, électriques, mécaniques, etc., est un processus élémentaire de connaissance. Une représentation n’est que le rappel, la reviviscence à l’état faible d’une sensation ou d’un complexus de sensations. L’association d’un ou de plusieurs groupes de représentations constitue la pensée. Or, aucun de ces processus psychiques, avec leurs manifestations motrices correspondantes, n’est nécessairement conscient. Il en est de même des mouvements de défonse, d’attaque, de fuite, de nutrition et de reproduction. La persistance, chez les mérozoïtes anucléés, après mérotomie, de tous ces mouvements,

  1. Gley, L’irritabilité, p. 483.
  2. Ch. Richet, Essai de psychologie générale, p. 130.
  3. C’est, je crois, Cabanis qui le premier a formulé cette doctrine. Œuvres, IV, 273-6.