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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/557

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ANALYSES. — h. gruber. Auguste Comte, etc.

tion ». S’il se maria civilement, c’est que, en théorie, il rejetait le mariage religieux. S’il demanda à ses disciples le « subside positiviste », c’est qu’il pensait effectivement que l’autorité spirituelle doit être nourrie et entretenue aux frais de la société. Le besoin d’unité et de système allait, chez lui, si loin, que, lorsqu’il brisait avec un ami, il oubliait positivement les anciennes relations, pour se rappeler seulement les défauts qui avaient été la cause de la rupture. Ces défauts, d’ailleurs, se ramenaient tous à un seul : le refus de suivre Comte jusqu’au bout. Et le philosophe était aussi impitoyable pour lui que pour les autres : n’a-t-il pas hâté sa mort, pour avoir voulu se soigner d’après sa propre théorie sur les maladies ? Toutes les étrangetés de la doctrine et de la vie de Comte s’expliquent par ce besoin de ramener toutes ses idées à l’unité, et de conformer sa vie, de prétendre conformer celle des autres, à l’unité de ses idées. Un système, si large fût-il, ne saurait emprisonner la réalité. Comte, lui, se croyait en possession du système définitif, et il voulait l’imposer : ce fut sa force, ce fut sa faiblesse. Mais il faut bien prendre les grands hommes comme ils sont, avec les défauts de leurs qualités. C’est cette règle de bienveillance respectueuse qu’oublie trop souvent M. G.

En revanche, là où nous sommes d’accord avec M. G., c’est quand il juge sévèrement Caroline Massin. Celle-ci ne semble avoir été irréprochable, ni avant, ni après le mariage. Le bon Littré n’a, je suppose, fait partager à personne son admiration pour celle que Comte appelait sa compagne indigne. On dirait, en lisant Littré, que c’est Mme Comte qui a tenu la plume. « Elle sait jouer la comédie », écrivait son mari, Littré s’y est laissé prendre, le brave homme. Mais ici encore se montre avec évidence la partialité de M. G. Il ne dit pas, lui, si bien renseigné, un seul mot de la raison pour laquelle M. et Mme Comte cessèrent, après l’accès de folie de 1826, toutes relations avec leurs parents de Montpellier. La chose est pourtant racontée tout au long dans Littré : le fanatisme religieux avait fait commettre une infamie à la mère d’A. Comte. C’est que le livre de M. G. n’est pas, malgré les apparences, une histoire ; c’est une œuvre de combat.

L’exposition de la doctrine de Comte par M. G. vaut mieux que la biographie. M. G., sans doute, ne renonce pas à railler, ou à stigmatiser, en passant, le positivisme, qu’il appelle « ce fameux positivisme », et auquel il reproche, à tort, la préoccupation exclusive « de la culture et de l’embellissement de l’existence animale ». Cependant il rend justice à Comte autant qu’il peut. Il le tient pour le vrai fondateur du positivisme, de la chose comme du mot, et cela pour l’excellente raison que Comte a formé le premier un corps de doctrine à l’aide d’idées dispersées dans les philosophies antérieures ou contemporaines, mais non encore systématisées. M. G. se moque finement d’un professeur de Strasbourg, Ernst Laas, qui ne voulait pas accorder « au Français Comte » l’honneur d’avoir fondé le positivisme. De plus, M. G. expose très clairement le but et les caractères de la philosophie de