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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/559

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ANALYSES. — h. gruber. Auguste Comte, etc.

dans son Cours, appelait méthode positive ; il est tout aussi certain que la méthode positive n’autorisait aucunement Comte à nier là où il devrait seulement douter, et à rejeter toute croyance théologique ou métaphysique, alors que l’expérience, comme l’a excellemment remarqué Stuart-Mill, est incompétente sur les questions d’origine. S’il est exact que Comte pensait pouvoir concilier entre elles la méthode objective et la méthode subjective, et si, en fait, elles ne sont pas nécessairement ennemies, il est tout aussi exact que, chez Comte, elles ne sont guère d’accord. Enfin, s’il n’est pas vrai que Comte ait été tout à fait conséquent avec lui-même, si, par exemple, la lettre à G. d’Eichtnal, du 9 décembre 1828, montre qu’alors il repousse non seulement l’adoration de Dieu, mais toute religion, y compris celle de l’humanité ; si, quoi qu’en pense M. G., il accorde, en ce temps-là, au sentiment beaucoup moins de valeur qu’il ne fera plus tard, ainsi que le prouvent et la préface de Saint-Simon au troisième cahier du catéchisme des industriels, et la discussion que Comte eut avec Mill, quelques années après, sur les femmes ; il n’en est pas moins vrai que les textes indiqués par M. G. prouvent que Comte, lorsqu’il préparait ou publiait le Cours, portait les germes de la Politique positive. Pour que dans cette question tout le monde ait raison, il faut qu’elle renferme un malentendu.

Si l’on veut se faire une idée du monde, on peut procéder de plusieurs manières : on peut aller, si je puis dire, de bas en haut, ou de haut en bas, ou encore suivre successivement les deux voies ; on peut, en d’autres termes, passer, suivant la méthode objective, des mathématiques et de la physique à la psychologie et à la morale ; ou bien pratiquer, en sens inverse, la méthode subjective ; ou bien enfin, après être monté des lois de la quantité aux lois de la société humaine, redescendre le chemin parcouru, et, après l’analyse, faire la synthèse. Procéder ainsi, c’est, dans le premier cas, concevoir l’univers tel que nous le présente la science positive ; c’est, dans le second cas, construire une métaphysique ; c’est, dans le troisième cas, superposer une métaphysique à la science. De ces trois méthodes, de ces trois formes de la philosophie, la plus large, assurément, est la troisième. C’est celle de Comte. N’avait-il pas le droit d’étudier, ainsi, le monde, d’abord du point de vue objectif, ensuite du point de vue subjectif ? Pour justifier Comte, il n’est pas nécessaire, comme le croit M. G., que les principales idées de la Politique positive soient déjà contenues dans le Cours de philosophie positive. Il suffit que la méthode objective ait paru à Comte, au moment où il en usait, insuffisante pour expliquer toutes les propriétés des choses. Si Comte avait jamais pensé que les qualités mathématiques sont les seuls éléments de toute réalité ; si, en conséquence, il avait essayé de ramener toute la physico-chimie aux mathématiques, toute la physiologie à la physico-chimie, etc., l’usage ultérieur de la méthode subjective eût été une absurdité. Mais, combien est injuste et incompréhensible, l’accusation de mathématisme, c’est-à-dire de matérialisme, portée contre notre philosophe, de son vivant,