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b. perez. — le caractère et les mouvements

premier pouvant être consistant ou inconsistant, le second échappant jusqu’à un certain point à la conscience, par suite à l’analyse, sans doute parce qu’il a ses racines dans les profondeurs de l’organisme. Et ce n’est pas tout : à ce double moi, qu’il admet sans hésitation, M. Fonsegrive[1] propose d’ajouter une personnalité sensitive, une personnalité sentimentale, une personnalité faite de l’imitation d’actes réels, une personnalité faite de l’imitation d’actes imaginaires, etc. Ces divers personnages, souvent en contradiction, peuvent se fusionner, et former une certaine continuité, où l’on peut facilement « les démêler à l’œuvre ». Mais qu’une amnésie se produise, comme cela se produit artificiellement par l’hypnotisme, et accidentellement, mais plus fréquemment qu’on ne pense, dans la vie normale de l’esprit, alors le personnage constitué par un système particulier d’habitudes, ou même plusieurs personnages de cette sorte disparaissent pour en laisser apparaître ou réapparaître d’autres. Que devient la personnalité individuelle ? Si elle est multiple, constituée par plusieurs moi, réels ou possibles, où s’arrêtera la limite entre le réel et le possible ?

Toutes ces distinctions, subtiles, à ce qu’il semble, n’en sont pas moins légitimes, nécessaires même pour la constitution de la psychologie générale et des psychologies spéciales. Toutes ces analyses pénétrantes nous rapprochent de l’unité de doctrine, en ayant l’air d’étendre toujours davantage le domaine du divers. Ne pressent-on même pas déjà leur tendance à se pousser comme d’elles-mêmes vers la synthèse ? M. Paulhan suppose que les sous-personnalités essentielles peuvent se ramener pour chaque homme au nombre de sept ou huit. Il admet qu’une personnalité dominante peut et doit se subordonner le plus grand nombre possible de sous-personnalités, et il nous en offre un exemple remarquable dans la vie scientifique de Darwin. M. Fonsegrive, de son côté, fait une déclaration à peu près semblable : il ne lui « paraît pas impossible que le personnage verbal entre à son tour dans le caractère véritable, que cette croûte superficielle arrive à former le fond même de la nature ». C’est là, dit-il, une grande fin à réaliser. Si l’on veut établir « l’harmonie exquise des fonctions intellectuelles et morales », ou « l’homogénéité morale, c’est au personnage verbal obéissant aux lois logiques qu’il faut s’adresser ».

Ce n’est donc pas à nos psychologues les moins ennemis de la métaphysique qu’il faut reprocher de vouloir appliquer au rebours le vieil adage métaphysique : Non entia præter rationem multipli-

  1. L’Homogénéité morale, Revue philosophique, juillet 1890.