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canda. Nos physiologistes hypnotiseurs qui avaient prétendu pouvoir créer à leur gré des personnalités dans le même individu se sont aussi chargés de dissiper eux-mêmes les appréhensions qu’ils avaient fait naître. Ils transformaient, ils faisaient parler et écrire un sujet quelconque en Harpagon, en Napoléon, en homme, en femme, en enfant, en vieillard, en personne sage et instruite, en personne grossière et ignorante ; mais la personne réelle protestait sourdement contre la personne intruse ; sa propre personnalité s’accusait par des traits à elle. Ainsi donc, de l’aveu de nombre d’hypnotiseurs, tout se réduit, dans les suggestions à l’état de sommeil comme à l’état de veille, à des variations d’états qui ne sont jamais absolues et complètes, à de simples modifications prévues par l’organisation individuelle, possibles et probables dans certaines conditions et de certaines manières. La personnalité de conscience peut disparaître, s’oblitérer, mais non la personnalité profonde et organique.

C’est ce fond persistant de la personnalité qu’il s’agit de connaître, de démêler au milieu de toutes ses manifestations ou apparences possibles. Dans cette recherche, y aura-t-il une méthode à employer de préférence ? Bain n’a pas tout à fait réussi, avec la méthode déductive, à composer une éthologie dont sa finesse d’analyse faisait mieux augurer. Bahnsen, tantôt avec la méthode inductive, tantôt avec la méthode déductive, mais en abusant toujours de l’hypothèse, a laborieusement construit un système, intéressant par endroits, mais d’une psychologie et d’une physiologie arbitraires. Ce n’est pas à leurs méthodes qu’il faut imputer leur insuccès relatif, c’est plutôt aux difficultés inhérentes au sujet. Mais il n’y a pas là de quoi décourager les psychologues, les moralistes et les pédagogues. M. Marion, pour son compte, s’exprime ainsi : « Si peu avancée que soit encore la psychologie, elle nous met assurément à même d’affirmer que toutes les combinaisons concevables entre certains traits de caractère ne sont pas possibles également ni au même titre. Telle de ces combinaisons, logiquement possible, ne l’est pas psychologiquement : telle est rare, telle fréquente, au contraire ; tel trait prédominant ne peut coïncider avec tel autre qu’un troisième n’en résulte nécessairement. Cette science des caractères n’est pas faite encore, mais elle peut l’être, et elle le sera, n’en doutons pas. Ce n’est, après tout, que la psychologie appliquée, ou la synthèse psychologique[1]. »

Toute méthode est bonne, qui mène à quelque chose. Les préférences, nullement exclusives, de M. Marion, seraient sans doute pour

  1. Revue phil., nov. 1880, à propos du Traité pratique de graphologie, de M. Crépieux-Jamain.