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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/193

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a. espinas. — la technologie artificialiste

d’autant plus irrésistible alors que le nombre était plus petit de ceux qui en connaissaient le secret ; on fit selon le mot de Solon de la parole une arme[1]. En possession de cet instrument, l’orateur était maître de son discours et des auditeurs comme le triérarque était maître de son navire et des flots[2].

L’art du calcul n’avait pas attendu pour se développer l’emploi de l’écriture ; il était trop indispensable aux commerçants primitifs pour que le besoin ne leur fit pas trouver des moyens de l’exercer à leur portée. On se servit pour cela de l’organe qui offre une série linéaire d’objets distincts, la main ; c’est pourquoi le système de numération des Grecs, comme celui d’une multitude d’autres nations, fut décimal : nouvel exemple de projection organique. Le moyen de numération ainsi découvert était si direct et si simple qu’aucune idée religieuse ne paraît s’y être mêlée[3]. Quand il fallut additionner les dizaines, on employa de petits cailloux (ψῆροι) ; puis on eut l’idée de représenter les dizaines par un seul caillou plus gros ou d’une autre couleur ; enfin on donna une valeur de convention aux cailloux des diverses séries selon leur place dans l’ensemble du tableau. Alors, ou bien on se servit pour désigner les divers nombres d’une manière abrégée, de la première lettre de leur nom, ce qui conduisit à dresser des tables à calcul où les divers groupes de ψῆροι occupaient des places fixes marquées par des lettres (tels étaient sans doute les ἄβαξ), ou bien on donna à certains mouvements des doigts une valeur conventionnelle, et par ce moyen des gens de diverses nationalités purent commercer sans difficulté les uns avec les autres comme le font encore les Persans.

Mais dans les deux cas les opérations ne trouvaient dans le symbolisme employé qu’un moyen de fixation ou de lecture ; elles devaient toujours se faire mentalement. Les enfants étaient de bonne heure dressés au calcul mental par la mémoire d’abord, puis au moyen de jeux qui charmaient également les adultes : le jeu des pions, πεττεία, emprunté aux Égyptiens, se jouait probablement sur une table comme celle qui a été trouvée à Salamine et que le savant Vincent croit être à la fois une table à calcul et une table de jeu. Un passage de Platon[4] ne permet pas d’assimiler entièrement

  1. Mullach, Fragment poét., p. 220.
  2. Cf. Chaignet, la Rhétorique et son histoire, et Platon, Gorgias, 452, e.
  3. Les nombres traversèrent cependant une période théologique : les trois corps d’Hécate, les sept planètes, les neuf muses, les douze grands dieux, les douze cités confédérées sont un exemple de cette incorporation primitive de croyances religieuses aux nombres élémentaires. Voir aussi ce qui a été dit plus haut de l’influence des jours dans Hésiode.
  4. Lois, VII, 820. Voir encore Gorgias, 450, c.