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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/194

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les deux appareils, mais il montre que le jeu des pions et le calcul proprement dit relevaient, dans la pensée de Platon, du même ordre de connaissances, l’arithmétique appliquée ou logistique. Un Athénien cultivé du ve siècle pouvait donc exécuter sans difficulté par ces moyens tout concrets les opérations, très longues parfois, nécessitées par la vie politique d’alors ; chef militaire, administrateur, financier, il savait non seulement additionner et soustraire, mais en ramenant la multiplication à l’addition, et la division à la soustraction, multiplier et diviser les uns par les autres des nombres considérables ; il pouvait exécuter les mêmes opérations sur des fractions qui avaient toujours l’unité comme numérateur ; il parvenait probablement sans trop de peine, comme le font les entrepreneurs illettrés de nos jours, à faire des partages proportionnels approximatifs. Même les marchands étaient capables de ces opérations élémentaires, qu’ils exécutaient au moyen des doigts. L’écriture fut employée à partir du vie siècle, comme le montre un nombre immense d’inscriptions, pour traduire en lettres dites Hérodiennes ou Attiques, c’est-à-dire par les initiales des nombres, les résultats des opérations ci-dessus indiquées. Dans quelle mesure servirent-elles elles-mêmes au calcul ? C’est ce que nous ne savons pas[1].

Une mesure plus parfaite de l’espace, du temps et de la valeur devient facile à partir du moment où des calculs déjà compliqués se font sans peine et où la langue est assez flexible pour exprimer jusqu’aux nuances les rapports qualitatifs des choses.

Vers 560 av. J.-G., Anaximandre construit la première mappemonde. La Grèce en occupait probablement le centre ; mais ce n’est plus en vertu d’une idée religieuse, c’est d’après une conviction raisonnée du philosophe géographe, bien que fondée sur des mesures tout à fait

  1. Mais on peut conjecturer que ce furent les arithméticiens proprement dits, c’est-à-dire les théoriciens des nombres qui s’en servirent les premiers couramment pour cet usage. Or ces théoriciens apparaissent parmi les derniers Pythagoriciens. Platon fut également un grand mathématicien comme chacun sait, et ses découvertes théoriques ne purent manquer de fournir de nouvelles ressources à l’art du calculateur. Elles provoquèrent ainsi un emploi plus fréquent de l’écriture dans les calculs, bien qu’il faille ajouter que les procédés le plus souvent employés pour obtenir les solutions nouvelles étaient géométriques. En sorte que l’emploi normal de signes numériques pour le calcul doit sans doute être rejeté jusqu’au temps d’Euclide, au m e siècle avant Jésus-Christ. C’est à partir de ce moment, en effet, que les signes attiques (analogues à nos chiffres romains) furent peu à peu remplacés comme étant lents à manier et exigeant beaucoup de place, par les signes alphabétiques, dont se servent les éditeurs modernes pour compter les livres ou les chants des auteurs grecs. (Cf. J. Gow, History of Greek mathematics, Cambridge, 1884, chap. I à III. Tannery, la Géométrie grecque, 1887, p. 48 ; « Sur la logistique » et pour plus de détails « Notice sur les deux lettres arithmétiques de Nicolas Rhabdas », 1886.)