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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/323

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notices bibliographiques

religieux et moraux qui forcent les Stoïciens à abandonner leur point de vue empirique et sensualiste pour aller au rationalisme. M. Stein, partant de cette contradiction entre les deux parties du stoïcisme et ne consentant pas à voir dans la théorie stoïcienne de la πρόληψις un plat non-sens, s’est efforcé de la reconstruire d’après l’esprit du système. C’est selon lui (ch.  VI, p. 227) une heureuse disposition de l’âme pour la connaissance des vérités morales et pratiques, surtout pour la démonstration de l’existence de Dieu. Toutefois, sans l’expérience, cette disposition ne s’élèverait pas à une connaissance ; on pourrait presque l’appeler, d’une expression moderne, une représentation inconsciente. L’interprétation de M. Stein est ingénieuse ; elle s’appuie sur des textes (p. 240, 291) qui la rendent plausible ; mais je n’oserais affirmer qu’il soit possible de ramener historiquement à l’unité les sens différents donnés dans l’école à la πρόληψις.

Je ne puis que signaler les chapitres où M. Stein traite du critérium de la vérité, de la philosophie du langage et du nominalisme des Stoïciens. J’appellerai tout spécialement l’attention sur ceux qui les suivent. En rendant compte de la Psychologie du Portique, je demandais à M. Stein pourquoi-il n’avait pas établi d’abord ce qui appartient à chacun des Stoïciens pour conclure ensuite à l’existence d’une doctrine systématique dont les éléments principaux se retrouvent chez les grands représentants de l’école. Le présent volume fournit une réponse à cette question. En sept chapitres qui ne sont pas les moins intéressants de l’œuvre, M. Stein examine successivement ce qui appartient plus spécialement, dans la théorie de la connaissance, à Zenon, à Cléanthe, à Chrysippe, au portique moyen (Diogène, Antipater de Tarse, etc.), à Sénèque, à Epictète et à Marc-Aurèle. C’est Zenon qui en a tracé les grandes lignes : c’est de lui que viennent les théories sur l’ἡγεμονικόν qui pense toujours, sur la συγκατάθεσις, la φαντασία καταληπτική et la τυπώσις, le critérium de la « droite raison ». Cléanthe a, par la théorie de la table rase, formulé un sensualisme très étroit, mais il a donné la théorie stoïcienne de la liberté. Chrysippe a subtilisé le sensualisme de Cléanthe et par la πρόληψις a dirigé l’école vers un système rationaliste. Dans le Nouveau Portique, Épictète est le représentant capital de la théorie de la connaissance : très préoccupé du détail, il a parfois négligé la liaison du système. Marc-Aurèle a plus de tendances vers le rationalisme et le scepticisme.

Ces résultats, quoique séparés des textes qui les établissent et en montrent la portée, suffisent à coup sûr pour justifier la méthode suivie par M. Stein dans la dernière partie de son livre. On se trouve en présence de choses positives et non d’une construction systématique dont le moindre inconvénient est d’altérer la vérité historique. Et il serait bon qu’en France, on en vînt à se persuader que les écoles et les systèmes doivent être traités comme les institutions, les sociétés et les religions, reconstitués dans leur vivante exactitude plutôt que modifiés et construits à nouveau selon des caprices individuels. On étudie en