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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/345

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f. evellin. — méthode dans les problèmes du réel

Une telle forme du phénoménisme, si elle s’est produite et a pris corps, n’est pas seulement plus séduisante, mais aussi plus vraisemblable et plus pénétrée de réalité que ce positivisme sec qui met le monde en formules et ramène ces formules mêmes à des termes dont il ne peut, sans se détruire, expliquer le sens, substituant ainsi, pour le plaisir de généraliser et d’unifier, je ne sais quelle vaine algèbre à la vie et à la lumière que voient nos yeux. Pourtant il importe de savoir si la conception qui prête une âme au phénomène et explique tout par sa seule action, est rigoureusement soutenable ; il faut se demander jusqu’à quel point elle est fondée en psychologie et dans quelle mesure l’étude impartiale des faits lui donne raison. Cette fois encore, l’analyse, la seule analyse du phénomène répondra.

Que le phénomène enveloppe l’activité, et que, de lui-même, il se dissolve et tende à se perdre dans le néant dès que cette activité lui fait défaut, rien ne nous paraît plus certain, et vraiment, nous croyons qu’une philosophie confinée dans le phénomène pur est sans point d’appui et sans avenir ; mais d’une telle proposition à celle que le phénomène est l’action elle-même, l’action absolue, l’action en soi, il y a une distance que les faits nous interdisent de franchir. Qu’on y regarde de près : encore que pénétré d’activité, le phénomène apparaît comme un état ; créé par l’être, il devient, dès qu’il est produit, et précisément en tant que produit, quelque chose d’arrêté et d’inerte ; c’est la fin d’un mouvement, mais comme le mouvement se répète sans cesse, le mode qui le termine et le fixe paraît continu. De là, dans le phénomène, la distinction nécessaire et déjà indiquée d’un dedans et d’un dehors, l’un actif, l’autre passif. Il se produit, à chaque instant et à propos du plus simple des états de notre âme, quelque chose d’analogue à ce que Spinoza voulait faire entendre quand il disait que, pour le spectateur et à la surface, la nature naturante devient naturée. C’est que l’acte et le résultat de l’acte diffèrent essentiellement. Le son que j’entends, la forme colorée que j’aperçois, sont dans le temps et dans l’espace des synthèses qui, au moment même où elles se font, m’apparaissent à moi comme toutes faites, et de l’acte qui me les donne, du souffle de vie qui les crée, je ne vois jamais que le produit, sans que l’ouvrier inconscient, toujours présent, toujours nécessaire, se montre un seul instant derrière son œuvre. Il suffit donc que ma conscience soit saisie ; c’en est fait : plus de mouvement ni de devenir ; rien que le phénomène, qui en est le terme, sous sa forme passive et dans son repos. Ainsi, qu’on nous passe cette comparaison bien imparfaite, se refroidit et se fige à sa surface une substance liquéfiée par la chaleur et en travail intérieur d’ébullition.