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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/370

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Tel est le thème que développent aujourd’hui, sous des formes diverses et avec des variations individuelles nombreuses, des penseurs d’un rare mérite, presque toujours savants à la fois et philosophes, mais trop préoccupés de fondre en un seul tout des données hétérogènes, et d’unir, en dépit d’elles-mêmes, science et conscience. Ce sont, pour ne citer que les noms les plus connus, les Czolbe, les Zoellner, les Du-Bois-Reymond, en Allemagne, et, parmi nous, un esprit aussi curieux que pénétrant, M. Fouillée[1].

  1. Un article de ce philosophe publié, il y a un an, dans la Revue des Deux Mondes a appelé sur la conception qui nous occupe l’attention du public français. Il peut passer pour une synthèse aussi intéressante que personnelle des généralisations scientifiques d’outre-Rhin.

    Comme les philosophes allemands dont nous parlons, M. Fouillée admet ou paraît bien près d’admettre le caractère absolu du phénomène, dont il fait un mode pur du moi. Sans doute il doit cette opinion à un sentiment de défiance et à un besoin de réaction très marqués contre la philosophie de Kant, sentiment et besoin qui se sont fait jour dans des pages très appréciées de cette Revue. On sent que le criticisme n’a pu le convaincre et qu’il ne s’est pas résigné à perdre confiance en la pensée. « Quoi, dit-il en substance, la pensée faite pour la vérité et la lumière mentirait à sa fin et me tromperait toujours ! Il me suffirait alors de penser que je suis pour qu’aussitôt je ne fusse plus ! Non, je me connais moi-même par la pensée, et, par la pensée aussi, je saisis des faits dont la réalité est pour moi la certitude même. Les conceptions de la science, pour vérifiées qu’elles soient, après tant d’années révolues et d’expériences faites, n’ont rien d’aussi positif. »

    Il croit pourtant qu’il faut tenir grand compte des données de la physique. Moins primitives que le fait de conscience, ses lois ont quelque chose de plus arrêté et de plus exact ; elles se plient au calcul et se prêtent à la mesure. Par suite on peut soutenir qu’au point de vue de l’objet, qui est la nature, elles ont autant de prix peut-être que les événements de la vie intérieure au point de vue du sujet ou de l’esprit. La métaphysique, qui se tient sur les sommets, voit d’ensemble. Le terrain où elle se place est celui de la synthèse. Il ne faut pas qu’un élément de solution, une parcelle de vérité lui échappe. Pour elle, ni le psychologue, ni le physicien n’ont absolument et complètement raison. Son devoir est de les écouter l’un après l’autre pour recueillir les conclusions qu’ils apportent, et en tirer, s’il se peut, des formules définitives. C’est que la réalité, vue de haut, est un vivant organisme, un et complexe à la fois, où sujet et objet se pénètrent et se confondent. Les sciences, prises à part, qu’elles se nomment psychologie ou physique, peuvent bien envisager séparément les deux aspects principaux du vrai, mais la science idéale, la science par excellence, qui est celle du philosophe, doit s’interdire toute abstraction, voir ce qui est tel qu’il est, et par suite réconcilier et unir ce qu’avait divisé l’analyse.

    À cette question que se posent comme lui Zölner et Czolbe : « des deux points de vue de l’esprit ou de la nature, quel est celui qui doit primer l’autre ? » M. Fouillée répond sans hésitation aucun. On demande si c’est le fait de conscience ou le mouvement qui est le vrai. Ni l’un ni l’autre, dit-il, ou plutôt l’un et l’autre, à la lumière d’une science plus compréhensive et plus haute, la métaphysique. Que faut-il penser de cette théorie ingénieuse ?

    En ce qui concerne l’excellence de la pensée, nous sommes si bien de l’avis de M. Fouillée que nous n’hésiterions pas à le dépasser dans ses conclusions. La pensée, à notre sens, n’a pas seulement le sentiment vrai, la notion exacte et sûre des actes propres ou modes purs du sujet pensant, elle voit, comme elle doit le voir, en dépit du préjugé courant, le phénomène lui-même, le phéno-