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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/419

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ANALYSES.st-georges mivart. Étude de la nature.

ou intime. Quelquefois nous sommes ce qu’on appelle en anglais « lost in thought », c’est-à-dire que la perception de nous-même par notre intelligence est suspendue pour un peu de temps, parce que cette intelligence est très occupée d’autres pensées. Mais quand nous nous promenons en cet état, nous avons toujours un certain sentiment vague de nous-même, un sentiment qui est le résultat de toutes les excitations, non perçues, de nos facultés sensitives. Ce sentiment non intellectuel de soi-même, je l’appelle aussi consentience. C’est par « consentience » que le somnambule reçoit les influences si variées des objets environnants et les excitations de ses organes des sens par lesquels il guide ses pas sans conscience. C’est par « consentience » que certains idiots peuvent faire des mouvements qui répondent à ce qu’on leur fait faire, et imiter les actions des personnes dans leur voisinage. Cette existence idiotique peut durer des années, et ainsi nous voyons qu’il est possible de subir des excitations sensibles et de faire des réponses définies pendant des années, sans posséder une conscience intellectuelle. »

Assurément, il y a beaucoup de vrai dans la théorie de la « consentience », qui n’est guère d’ailleurs que la reproduction sous une autre forme, plus spécialement psychologique, de théories émises par plusieurs physiologistes et pathologistes, entre autres par H. Maudsley, et qui sont généralement adoptées. Mais si cette théorie permet de grouper les traits d’une manière intéressante, rien ne prouve qu’elle doive avoir la portée que lui donne M. Mivart qui essaye de multiplier et d’approfondir les différences qui existent entre la conscience et la consentience, mais qui ne fonde pas, à mon sens, ses doctrines sur des bases suffisamment solides. Il est vrai que, pour lui, leur évidence, au moins en ce qui regarde la conscience, est telle que l’on ne peut la nier sans absurdité. Et je crains fort que son critérium de certitude, renouvelé de Descartes, qu’il ne paraît pas cependant goûter beaucoup, ne l’ait mal servi.

Comme beaucoup de philosophes il accorde trop à la conscience. Pour lui les enseignements de la conscience ou ce qui lui semble tel, — et l’on pourrait bien discuter ici — sont des vérités absolues, — et l’on pourrait ici discuter encore autant. « La certitude, dit-il, n’existe pas dans nos sensations quoique nos sensations nous la donnent si souvent et soient de puissants moyens de nous les procurer. La certitude est dans la pensée, dans l’intelligence seule ; et pas ailleurs. La conscience, la pensée réfléchie est notre seul critérium et c’est un critérium absolu. C’est par l’intelligence consciente et réfléchie seule que nos sensations nous sont proprement connues. Sans cette faculté nous pourrions très probablement sentir, mais nous ne pourrions pas ni reconnaître ce que nous avons senti, ni nous fier à la sensation ; c’est la faculté de penser et non de sentir qui est notre dernier recours, notre critérium suprême, et cet acte suprême de notre intelligence, je l’appelle l’intuition intellectuelle ». Et plus haut : « Après tout et en dernier ressort, après que