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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/444

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lement dans les objets extérieurs ? — L’action, qui elle-même ne se comprend que comme désir ou volonté Schopenhauer l’admet, mais il n’en tire point les conséquences légitimes pour l’explication des idées. Il n’a pas montré dans cette « volonté de vivre » qui, selon lui, fait le fonds commun de tous les êtres, la vraie origine de nos idées universelles et nécessaires, des formes à la fois cérébrales et mentales à travers lesquelles nous apercevons toutes choses. Sa théorie des idées demeure encore un pur idéalisme à la manière de Platon ou de Kant, sans connexion visible avec sa philosophie de la volonté. Il oppose les formes de la pensée à la volonté aveugle et inintelligente, sans en montrer le lien ; il déclare même ce lien absolument « inexplicable ». Nous croyons, au contraire, que l’explication des formes de la pensée tient, en grande partie, aux fonctions de la volonté et à ces nécessités de la vie sur lesquelles Lamarck et Darwin ont attiré l’attention des philosophes. Ce sera donc, selon nous, rattacher la genèse des idées aux lois les plus fondamentales de la réalité que de l’expliquer par les lois mêmes du désir. Nous ne dirons pas, avec tant de philosophes contemporains : « Revenons à Kant », nous dirons : « Dépassons Kant, dépassons Schopenhauer lui-même, dépassons aussi Spencer », car, pour un évolutionnisme mieux entendu, les idées doivent redevenir les formes supérieures de la vie et de la volonté, au lieu de demeurer inactives dans un monde régi par des lois exclusivement mécaniques. La question des idées-forces se retrouve ainsi, selon nous, au fond de la question de l’origine des idées.

I

Comme il s’agit de faire, dans la pensée, la part du sujet pensant et des objets pensés, la première question est de savoir en quoi consiste le rapport du sujet à l’objet, si ce rapport est spécifique, ou s’il est identique à quelque autre rapport, tel que celui de cause à effet. En d’autres termes, comment se figurer l’attitude du sujet pensant devant l’objet pensé, et réciproquement ? Faut-il considérer ces deux termes comme exerçant l’un sur l’autre une action proprement dite, une efficace, soit qu’on place la causalité dans l’objet, ou dans le sujet, ou dans les deux à la fois ?

Locke et Leibnitz ont l’un et l’autre pris pour accordé le rapport de causalité comme explication des idées, et ils n’ont discuté que pour savoir si la causalité était dans le sujet ou dans l’objet, ou dans les deux, et à quel degré. Par malheur, c’était supposer résolues deux questions qui ne l’étaient pas. 1o Est-il certain que cette notion même