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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/495

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j.-j. gourd. — la volonté dans la croyance

sera bien déterminé par son antécédent, mais ne le sera que pour une faible part ; l’imprévu, le nouveau, prédomineront en lui ; il ne sera que partiellement le représentant de celui auquel la science le rapporte ; il ne l’exprimera pas fidèlement par conséquent, voici des substitutions inexactes dans le raccordement des propositions, voici des attributions trop larges ou trop étroites dans l’application des mots aux idées, voici même des souvenirs incomplets, des perceptions modifiées, bref tout ce qu’il faut pour produire l’erreur. Celle-ci restera, il est vrai, latente, attendu qu’elle ne pourrait se poser expressément que dans un rapport, et qu’un rapport est nécessairement juste : elle n’en sera pas moins grave.

Cependant il ne s’ensuit pas que la liberté soit toujours une source d’erreur. Toujours assurément elle doit être un sujet d’inquiétude, et nous avouons que celui qui prend nettement conscience de ce pouvoir, est appelé à se tenir constamment en éveil pour vérifier ses conclusions. Ce n’est pas un mal, d’ailleurs, ni au point de vue de la tolérance à l’égard des autres esprits, ni au point de vue de la découverte de la vérité. Mais, d’autre part, la liberté nous offre une garantie contre l’inquiétude qu’elle suscite. Elle peut, en effet, se manifester dans l’amour de la vérité aussi bien que dans tout autre sentiment. Et cet amour de la vérité doit avoir de précieux résultats pour la découverte de la vérité elle-même. Il entraîne la patience, l’attention minutieuse, la lutte contre les préoccupations extérieures et les indéterminations involontaires ; plus encore, il aboutit à l’effacement de la liberté qui lui a donné naissance, et ainsi il ramène la détermination causale à son maximum. Donc, la question consiste à savoir quelle est la direction de la volonté libre. Agrée-t-elle en première ligne des considérations étrangères à la vérité, nous avons les raisons les plus sérieuses de suspecter la valeur théorique de nos conclusions. Agrée-t-elle plutôt la considération de la vérité, nous avons des raisons également sérieuses de maintenir notre croyance.

Cette dernière question présente sans doute un grand intérêt, et nous ne pouvions nous dispenser de l’aborder. Cependant elle n’est pas inséparablement liée à celle de la croyance métaphysique. En effet, il y a toujours une illusion théorique dans le passage de la pensée au monde ultra-phénoménal. Quand nous croyons poser ce monde, en réalité nous ne le faisons point ; nous n’aboutissons qu’à un nouveau phénomène, qui est censé le substitut d’une autre chose inconnue ; et quand nous croyons penser à cette autre chose, nous ne réussissons qu’à établir un nouveau substitut, et ainsi de suite, sans arriver à la chose elle-même. La condition fondamentale de la