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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/533

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ANALYSES.fouillée. L’évolutionnisme des idées-forces.

tout comme Kant et Hamilton, ou panthéiste tout comme Spinoza et Schelling : il n’y a rien là qui soit l’évolutionnisme. Pareillement, quand Spencer, non sans se contredire lui-même en plus d’un passage, nous affirme que la conscience est un simple effet du mouvement, je vois bien en quoi cette assertion est matérialiste ; mais je ne vois pas aussi bien en quoi elle est évolutionniste. Le propre de l’évolutionnisme, c’est d’essayer, par exemple, de nous dire pourquoi la matière cosmique a revêtu la forme de notre système solaire, pourquoi la matière vivante s’est différenciée en une infinité d’espèces distinctes, etc., etc. Voilà le problème qu’il prétend résoudre par l’idée d’évolution. Dès lors comment celui qui ne discute même pas ce problème pourrait-il être évolutionniste ? Or M. Fouillée démontre bien qu’au nombre des facteurs de l’évolution universelle il faut mettre l’idée, l’état de conscience, le facteur psychique ; mais il ne démontre pas que ce facteur contienne le moins du monde la raison de la direction et des phases de l’évolution. En quoi, par exemple, les idées-forces peuvent-elles servir à expliquer l’apparition du type mollusque ou du type vertébré ; à moins qu’on ne voie dans ces types mêmes des idées directrices et créatrices, des causes exemplaires ou finales, comme celles qu’imaginaient Aristote et Platon ? À tout prendre, un philosophe hégélien, qui nous montrerait dans la nature de l’Idée la nécessité en vertu de laquelle elle se détermine successivement à telles et telles formes de plus en plus particulières et concrètes, et qui prétendrait que l’évolution des choses est la manifestation extérieure et sensible de cette évolution idéale, un tel philosophe pourrait à bon droit donner à sa doctrine le nom d’évolutionnisme des idées-forces. On chercherait en vain une doctrine analogue dans le livre de M. Fouillée. L’évolution, comme telle, en tant qu’évolution, c’est à dire en tant que succession de formes diverses, reste en dehors des discussions et des théories de M. Fouillée ; et il semble bien qu’elle s’explique pour lui, comme pour M. Spencer, par des causes mécaniques et externes : seulement ce sont ces causes mêmes qui impliquent dans leur nature quelque chose que Spencer n’a pas vu ou n’a pas voulu voir, c’est à dire l’état de conscience. Bref M. Fouillée nous paraît être vis-à-vis de Spencer à peu près dans la situation de Leibniz à l’égard de Descartes. Descartes prétend expliquer par le mouvement tous les phénomènes sensibles, pesanteur, lumière, chaleur, magnétisme, etc. ; et c’est pourquoi sa doctrine s’appelle le mécanisme. Leibniz ne contredit nullement cette explication ; il demande seulement à la compléter en faisant voir que le mouvement lui-même implique la force ou la monade : au mécanisme cartésien il superpose le dynamisme qui est sa philosophie propre. Mais serait-ce donner une idée juste de sa doctrine que de l’appeler le mécanisme des monades ? M. Fouillée fait tort à l’originalité de son système en le présentant comme une simple modification de l’évolutionnisme spencérien. Quelque partialité que nous ayons en France pour tout ce qui nous vient de l’étranger, les incompétents seuls peuvent ignorer que notre pays s’ho-