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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/534

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nore d’avoir en lui un philosophe d’un esprit aussi inventif et peut-être plus compréhensif que Spencer.

En somme, le véritable sujet du livre de M. Fouillée, c’est la réfutation du monisme matérialiste ou physique et l’établissement du monisme idéaliste ou psychique. Il s’efforce de faire la lumière sur une question que les progrès des sciences physiques et naturelles imposeront avec une force croissante à l’attention des penseurs et qui n’a encore reçu que des solutions vagues et contradictoires. Cette question est celle des rapports du physique et du psychique non pas seulement dans l’homme ou dans l’animal, mais dans l’univers tout entier. Il y a là comme une impasse où viennent s’enfermer bon gré mal gré notre science et notre philosophie contemporaines. D’une part, le mécanisme est devenu depuis Descartes le seul mode d’explication scientifique de tous les phénomènes, même des phénomènes d’ordre mental : de là cette théorie de l’homme-automate, suprême résultat de tous les travaux de la physiologie contemporaine, qui ne veut voir dans la conscience qu’un épiphénomène de l’action réflexe. Aussi rencontre-t-on, surtout en France, un assez grand nombre de savants, tout à fait étrangers, il est vrai, au mouvement des idées philosophiques, pour lesquels le matérialisme est la seule philosophie qui s’autorise à bon droit du patronage de la science. D’autre part, cependant, il devient de plus en plus difficile, même aux savants de profession, d’ignorer ou d’écarter les conclusions essentiellement idéalistes auxquelles aboutissent et la philosophie allemande avec Kant et la philosophie anglaise avec Hume et Stuart Mill. On peut prévoir le moment où personne ne contestera plus cette vérité fondamentale : tout le contenu de notre connaissance ne consiste qu’en états de conscience ; matière, mouvement, temps, espace, etc., ne sont que des sensations ou des lois de sensations. Voilà donc le cercle où la pensée contemporaine tourne sans trouver d’issue. La vieille métaphysique, qui connaissait le problème, croyait le résoudre par le dualisme, en admettant deux ordres de choses parallèles, la matière et l’esprit ; mais les termes mêmes dans lesquels il se pose de notre temps exigent impérieusement une solution moniste.

En effet, il ne s’agit plus seulement de comprendre comment le mental et le physique peuvent coexister dans un seul et même être tel que l’homme ; il s’agit de comprendre comment le mental peut exister si toute réalité se ramène scientifiquement au physique et vice versa comment le physique peut exister si toute réalité se ramène philosophiquement au mental. Et qu’on y prenne garde : ce n’est pas là un simple conflit entre la science et la philosophie qu’on puisse trancher en sacrifiant dédaigneusement les rêveries subtiles des métaphysiciens aux théories positives des savants : sans doute la démonstration de l’idéalité des objets de notre connaissance est œuvre philosophique au premier chef ; mais dans cette œuvre la philosophie a la science pour auxiliaire, j’allais presque dire pour complice. Qui plus que les physiciens et les physiologistes contemporains a contribué à édifier cette