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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/536

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l’Intelligence. Lui aussi professe que la même réalité, une en soi, peut nous paraître double, si nous avons deux manières de la percevoir ; or nous pouvons en effet voir un phénomène soit du dehors, avec les sens, et alors il nous apparaît comme mouvement irréductible à la sensation, soit du dedans, avec la conscience, et alors il nous apparaît comme sensation irréductible au mouvement. D’où l’on pourrait conclure, ce semble, que le phénomène pris en soi, est , ni mouvement ni sensation, mais que c’est nous qui, par nos différentes manières de voir, lui donnons ce double aspect. Mais alors ne faut-il pas que nous, avec nos deux façons de percevoir, nous soyons quelque chose de distinct du phénomène ? Pour réfracter la lumière, le prisme doit être distinct de la lumière elle-même. Eh bien non ! nous ne sommes nous-même, d’après M. Taine, qu’un aspect du phénomène, l’aspect-sensation ou peut-être même un aspect de cet aspect. Comprenne qui pourra de pareils imbroglios ! Ailleurs M. Taine déclare que ce qu’il y a au fond de nos états de conscience, ce sont des mouvements élémentaires inconscients, et voilà le mental réduit à n’être qu’une face du physique ; ailleurs au contraire, et ici il se rapproche de la doctrine de M. Fouillée, il proclame que le mental seul est réel et que le physique en est simplement l’effet et le signe, lui-même donné et contenu dans la conscience. En faisant la critique de cette creuse hypothèse de la double face, M. Fouillée aura rendu un service inappréciable à la philosophie de son temps : on peut seulement regretter que cette critique ne soit pas plus étendue (voy. livre IV, chap.  i) et peut-être aussi qu’elle n’ait pas assez insisté sur ce point, c’est que l’hypothèse de la double face, qui se prétend moniste, est au contraire essentiellement dualiste, puisqu’elle revient à dire que tout ce que nous connaissons de la réalité nous la montre double, mais que nous devons néanmoins croire qu’elle est une, bien que nous ne voyons pas comment est possible cette unité.

Quelle est maintenant la solution proposée par M. Fouillée ? Pour nous en faire une idée, il ne sera pas inutile d’analyser sommairement son livre. Une assez longue introduction contient d’abord l’exposé des principes généraux d’un évolutionnisme ou, pour mieux dire, d’une philosophie des idées-forces. M. Fouillée y pose d’abord la question de l’existence des idées-forces : les états de conscience peuvent-ils avoir une efficacité, influer réellement sur le cours des phénomènes, et même ne sont-ils pas à vrai dire les seules causes véritablement efficaces, les ressorts intérieurs du mécanisme universel ? Puis il montre l’importance de cette question pour la psychologie, pour la métaphysique et pour la morale, et par là il nous fait comprendre toute la fécondité du principe nouveau qu’il s’efforce d’introduire et dont il fait dériver un système complet de philosophie. Cette introduction, dans sa pensée, doit servir de préface non seulement au présent ouvrage qui contient seulement la métaphysique des idées-forces, mais aussi à d’autres ouvrages qui paraîtront plus tard sur la psychologie et la morale