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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/535

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ANALYSES.fouillée. L’évolutionnisme des idées-forces.

belle théorie de la perception sensible, où s’est faite, en quelque sorte, la vérification expérimentale de l’idéalisme et qui pourrait toute se résumer dans cette formule : « Du monde extérieur nous ne connaissons rien et ne pouvons rien connaître que nos propres sensations ? » Ainsi la réduction du physique au mental est la thèse propre de la philosophie de ce temps ; mais c’est une thèse avouée par la science. La thèse contraire de la réduction du mental au physique, si elle est plus particulièrement propre à la science de ce temps, n’est pas non plus étrangère à la philosophie, puisqu’aussi bien c’est des mains de la philosophie cartésienne que la science l’a reçue. C’est donc chacune avec elle-même que la science et la philosophie contemporaines sont en conflit, et par là s’explique l’intérêt profond d’une tentative comme celle que fait M. Fouillée dans ce livre.

Tous les essais de solution présentés jusqu’ici témoignent surtout d’un sentiment très insuffisant des difficultés du problème. M. Fouillée n’a pas de peine à faire voir combien Spencer est ondoyant dans cette question. Tantôt le philosophe anglais semble admettre une réalité inconnaissable qui se manifeste à nous sous deux aspects corrélatifs mais irréductibles l’un à l’autre, l’aspect physique et l’aspect mental ; tantôt il paraît reconnaître avec Berkeley, Hume et Stuart Mill, que le prétendu aspect physique, étant enveloppé dans la conscience, est lui-même de nature mentale ; tantôt enfin, et c’est là sa doctrine la plus ordinaire, il semble considérer le mental comme un effet et un reflet du physique, une apparence illusoire que le physique revêt à nos yeux dans le cours de l’évolution universelle. Presque tous les philosophes et les savants contemporains nous rendent témoins des mêmes hésitations, pour ne pas dire des mêmes inconséquences. Toutes leurs théories ne consistent au fond qu’en une phraséologie dont on peut, ce semble, attribuer l’invention à Lewes et qui a fait une singulière fortune : la phraséologie des faces. Elle a tout juste autant de valeur que celle des fluides positifs et négatifs en électricité, mais elle est fort commode pour résoudre verbalement toutes les difficultés. L’analyse vous laisse en présence de deux termes opposés, irréductibles : gardez-vous bien de les poser comme tels : quel moyen auriez-vous d’être moniste après cela ? dites simplement que l’un de ces deux termes est une face de l’autre, ou mieux encore, qu’ils sont l’un et l’autre deux faces d’un troisième terme dans lequel ils s’unissent et s’identifient.

C’est ainsi que pour Lewes l’âme et le corps sont deux faces d’une seule et même réalité : ce qui vu par un côté nous apparaît comme matière, vu par un autre côté, nous apparaît comme esprit. Toutefois il semble bien que selon lui, le vrai côté, celui par où la réalité est vue telle qu’elle est, c’est le côté matière : de sorte qu’en fin de compte, la conscience n’est qu’un épiphénomène, une face superficielle entée sur une autre face plus profonde. Il serait aisé de montrer les mêmes incertitudes, les mêmes contradictions dans le beau livre de M. Taine,