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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/552

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prédicat le sujet de la première. Quand je dis : Tous les hommes sont mortels, je ne demande pas s’ils sont toute la classe des mortels ou une partie seulement de cette classe ; et si cependant je dis : Tous les hommes sont quelques mortels, c’est qu’en réalité j’ai conduit mon esprit hors de la première proposition vers une autre idée, c’est que je me suis interrogé sur la vérité ou sur la fausseté d’une autre proposition, à savoir celle-ci : Quelques mortels ne sont pas hommes…

« Expliciter dans le langage ce qui est implicitement contenu dans la pensée, tel est le principe de Hamilton. Cela revient en somme à dire : expliciter la pensée. Or il est certain que le langage doit exprimer toute la pensée, mais aussi il ne doit exprimer que la pensée ; et il ne doit pas contraindre la pensée à s’expliciter. Car expliciter, c’est expliquer, c’est développer, c’est donc transformer la pensée par d’autres pensées. C’est ainsi que, sous prétexte d’expliciter ce qui est contenu dans la pensée, Hamilton pose comme simples des formes propositionnelles qui sont en réalité composées de deux propositions ; à ces formes correspondent dans la pensée deux jugements dont l’un est né du besoin d’expliciter l’autre[1] ».

Nous pensions ne pouvoir mieux faire que de transcrire ces conclusions. Nous n’avons pas étudié le problème de la quantification du prédicat et nous ne saurions improviser le commentaire ou la critique des réflexions qui terminent cet essai d’un sage et vigoureux esprit. Aussi bien cet essai n’était qu’un « exercice », un travail d’école, et si la main qui l’a rédigé n’avait pas été glacée par la mort, il n’eût pas été publié. N’oublions pas cependant que cet « exercice » (puisque c’est le mot consacré) contient sur un des sujets les plus importants de la logique formelle — il y va de toute la théorie classique du raisonnement déductif — des remarques d’une nouveauté indiscutable. François Bourdillat s’est pris à une question inédite, et il s’est fait sur cette question inédite des opinions entièrement à lui. Sera-ce exagérer que de leur attribuer une valeur objective et de penser que ces pages méditées avec force et avec une impeccable probité de réflexion contiennent plus que des promesses, qu’il s’y trouve les premiers linéaments d’une critique sérieuse, que la doctrine à combattre y est admirablement visée et entamée ? Sans doute plus d’un se demandera si ce n’est pas un mérite durable dont il faut faire honneur à Hamilton que d’avoir, par delà les habitudes de penser de la plupart des hommes, imaginé d’autres habitudes possibles, et si la création d’une logique imaginaire — toutes discutables qu’en soient l’opportunité et l’utilité pratique — n’est pas le résultat d’un effort génial et par là même fécond. Il est remarquable qu’à l’âge où Bourdillat s’est posé le problème, il se soit tenu en garde contre l’enthousiasme téméraire et qu’il ait répondu comme un sage disciple d’Aristote. L’excellente notice qui précède le travail posthume nous apprend que Bourdillat rêvait, une fois débarrassé des soucis de

  1. Pages 74-76.