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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/586

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D’abord, elle tient compte seulement de la sensation, non des autres fonctions mentales, — émotion et volition, — avec la réaction qu’elles entraînent. En second lieu, elle ne rend compte que des formes superficielles de la structure mentale et cérébrale, non de ce que cette structure a d’essentiel. On ne comprend pas, par exemple, que le sentiment du temps puisse venir du dehors par simple répétition des relations temporelles entre des objets « extérieurs ». De même pour l’identité et la causalité. Si l’évolutionnisme est légitime, c’est à la condition de ne pas réduire ainsi l’expérience tout entière à son mode externe et passif, qui est l’enregistrement des rapports extérieurs dans le cerveau par voie de répétition fréquente. Au reste, Spencer lui-même n’a pu s’en tenir à ce mode élémentaire d’enregistrement, et il a dû faire une place dans son système aux principes de Lamarck et de Darwin.

La seconde origine de la structure cérébrale et mentale, avons-nous dit, est l’acquisition et la transmission héréditaire des habitudes. C’est précisément cette origine que Lamarck a mise en lumière et que Spencer appelle « l’adaptation fonctionnelle ». Seulement, si les effets de l’exercice sur l’individu pour l’adapter au milieu sont incontestables, il n’en est pas de même de ses effets sur la descendance, qui sont contestés aujourd’hui par certains naturalistes, principalement par Weissmann. Au cas où se vérifierait l’hypothèse de ce dernier sur l’impossibilité de la transmission des caractères acquis ce serait la négation du système de Lamarck, et aussi de Spencer, au profit du système de Darwin. Sans vouloir prendre ici parti dans ce débat physiologique, nous croyons que, si on n’a pas encore prouvé entièrement la transmission héréditaire des habitudes, encore moins a-t-on prouvé sa non-existence. Ce qui semble certain, c’est que l’action des habitudes acquises sur l’espèce (nous ne disons pas sur l’individu) a été notablement exagérée par Lamarck et Spencer ; autant l’hérédité des caractères congénitaux est certaine, autant celle des caractères acquis est douteuse. L’expérience acquise par de nombreuses séries d’individus a donc fort peu de chances de devenir cette sorte d’expérience héréditaire et innée qu’admet Spencer.

Passons au troisième mode d’évolution cérébrale, que Darwin a découvert. C’est la « variation accidentelle » conservée par « sélection ». Supposez qu’un animal ou une plante varient en couleur par l’effet de causes fortuites ; si la couleur nouvelle se trouve propre à cacher l’animal et à empêcher ses ennemis de le dévorer, cet « heu-