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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/602

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mènes en tant que représenté par nous, il est clair que cette abstraction n’agira pas, ne sera pas un facteur réel, et que les mêmes principes subsisteront identiques malgré la différence du temps. Il faut donc considérer le temps réalisé dans les choses et, par là même, faire appel à l’expérience. Entre les mêmes causes A, B, C… au premier instant et les mêmes causes A, B, C… à un autre instant, il n’y a qu’une différence de temps ; d’autre part, nous voyons que les mêmes causes ont produit les mêmes effets a, b, c… pendant un certain laps de temps appréciable ; donc la différence du temps n’a pas entraîné de différence dans les effets. Dès lors, si les mêmes causes reparaissent avec cette seule différence de temps qui s’est montrée de fait indifférente, nous attendrons logiquement les mêmes effets, comme si le temps était indifférent. Cette attente est toujours fondée sur ce que les mêmes principes ont les mêmes conséquences : elle est l’application de l’idée directrice d’identité aux choses successives. Il en est de même pour la différence de position dans l’espace, qui, à elle seule, est indifférente.

Maintenant, quand nous parlons des mêmes effets produits par les mêmes causes, en des instants ou lieux indifféremment différents, nous supposons une identité tout imaginaire des effets. En réalité, il n’y a dans la nature que des effets semblables, non identiques ; « rien dans le monde n’arrive plus d’une fois », a-t-on dit avec raison[1]. Quand nous affirmons que la mort arrive souvent, nous parlons d’une notion générale ; ce qui arrive, c’est la mort de Pierre, de Paul, de Jean ; et chaque mort est un phénomène particulier, seul de son espèce quand on le considère dans la totalité de ses circonstances. Nous ne trouvons une parfaite similitude entre deux phénomènes que quand nous les réduisons par la pensée à un seul phénomène.

Aussi le principe des lois est-il une construction abstraite de notre esprit, qui ensuite trouve son application dans la réalité. S’il y a des phénomènes semblables, ils auront nécessairement tels antécédents semblables. Nous posons ainsi un principe tout conditionnel.

Maintenant, pourquoi ne nous en tenons-nous pas à ce principe hypothétique et pourquoi attendons-nous, en fait, des phénomènes semblables dans la nature ? Est-il besoin pour cela d’invoquer, avec M. Lachelier et plusieurs autres philosophes, un principe de finalité, différent de la causalité telle que nous venons de l’interpréter ? Nous ne le pensons pas. D’abord, outre les principes logiques du raisonnement, qui, à eux seuls, demeurent conditionnels, la causalité appliquée à la na ture enveloppe des principes mathématiques, qui

  1. M. Shadworth Hodgson.